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    Message par Lyncx 2010-08-28, 04:42

    C'est simple: chaque diasporien poste ici un lettre qu'il a écrite, ou écrira, pour donner de ses nouvelles à un proche resté au pays, un parent, un ami ou simplement une connaissance. Les posts auront un style épistolaire. Aucune contrainte dans le fond ni dans la longueur.


    Dernière édition par Lyncx le 2010-09-06, 14:10, édité 1 fois
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    [LETTRES] Épîtres Diasporoises  Empty Re: [LETTRES] Épîtres Diasporoises

    Message par Lyncx 2010-08-28, 04:43

    Je commence.


    -----------------


    Bonjour petit frère...

    Je ne me souviens plus de la dernière fois que nous avons véritablement parlé. Ni de la dernière fois où, complices le temps d'un regard, d'un mot où d'une pensée, nous avons tous les deux souri. Ce doux sourire que quelquefois je percevais à l'ombre de ton rictus, et qui me signifiait toujours que tu préparais quelqu'espièglerie, me manque autant que me manquent les mots pour le décrire. Depuis combien de temps déjà? Combien d'années s'interposent entre la désuétude de ma mémoire et le dernier souvenir que j'ai de toi? J'ai cessé de compter les jours et les ares qui nous séparent, car toujours me rappellent l'inéluctable vers lequel je me dirige.

    Mais tu n'es pas le seul à me manquer. Le bruit de pagnes de mes grandes soeurs, les jours de grand-ménage, ou le pas traînant de père, sur le sol rude où s'usaient ses sandales en cuir, les jours où le seul de ses souci était de resserrer un boulon ou de tendre une courroie dans le moteur de sa voiture... Ou encore le rire de petite soeur, ses pleurs et ses sautes d'humeurs, quand mon puiné s'efforçait de la mettre hors-d'elle. Où même, le grondement incessant de la mer, pas si loin, les nuits où tout sommeil semblait nous avoir quitté. Où nous nous adossions à la rampe du balcon, contemplant le vide nocturne que troublait de temps à autre un passant sombre. Ce passant était pour nous deux le Graal, que nous nous efforcions de suivre des yeux, fil d'Ariane qui nous menait toujours vers les ténèbres. T'en souviens-tu, petit frère? Je m'en souviens encore, dans ma mémoire où le temps semble décidé à tout effacer. Je m'en souviens, de ces moments où je te tenais la main pour t'empêcher de traverser la route trop tôt, où, hébétés de chaleur sous la canicule ardente, nous étions les deux seuls à sortir aller bavarder avec le vendeur de lait.

    Et maintenant, viennent les temps des regrets. Oh! ce ne sont pas les mêmes regrets qui animent les moribonds sur leur lit dernier. Non, ce sont plutôt des regrets amers d'un homme qui a l'éternité devant lui, mais qui sait qu'elle ne suffira pas pour refaire le passé. Ce sont des regrets en sursis, d'un homme qui sait qu'il n'a déjà plus de temps pour lui, qui sait que jamais plus, nous ne nous retrouverons intacts, pûrs et complices comme nous l'étions auparavant. Ce sont des regrets contre ma passivité, contre le fait que le monde nous a obligé à nous séparer. Contre le fait que je ne pourrais plus te donner ce que j'aurais voulu te donner, et que tu ne pourras plus avoir de moi ce qui t'était dû. Ce ne sont pas des regrets de moribond, petit frère; non, juste des sanglots qu'aucun soleil nouveau n'assèche.

    Je ne sais désormais plus comment tu vis, comment tu vas, où se dirige la barque de tes jours. Je ne suis plus ce confident auquel tu n'avais pas besoin de te confesser pour qu'il sût ce qui te tourmentait. Désormais, je suis hors de ta vie et de ton monde. L'inéluctable fuite des jours fait que toute possibilité de nous rapprocher encore s'amenuise, et je ne suis plus celui qui se battrait jusqu'au dernier souffle pour qu'elle restât vivante. Oui, j'ai changé, énormément, radicalement. Sans que je le veuille, cependant, bien que j'en prenne la pleine mesure. J'ai changé au point que tu ne reconnaitras plus en moi ce gardien proche, ce protecteur indulgent qui participait de tes joies et de tes peines. Je ne suis plus qu'une loque matérialiste, qui promène sa silhouette blasée sur les champs stériles de la décadence. Je ne suis plus, petit-frère, que ces yeux sans éclat, cet homme sans fierté, ce coeur sans révolte devant l'injustice. Tu ne me reconnaitras pas, petit-frère, eusses-tu eu toute la pitié du monde.

    Mais trêve de monologue. Je ne t'ai pas demandé comment tu allais. Bien que je sais que celà ne me rassurera pas, car toute perte est définitive, je veux au moins que tu saches que mon coeur s'enquiert toujours du tien. Es-tu toujours cet être calme et secret, ce mystère d'intelligence où toutes les peines du monde trouvaient un baume d'espoir? Souris-tu toujours, même dans la tristesse, de ce sourire sage de l'esprit supérieur? En vérité, je ne pense pas que tu aies pu changer. Tu es trop entier pour cela. Même si quelquefois tu te laissais envahir par la noirceur autour de toi, il suffisait d'un battement de ton coeur pour que ta nature reprenne le dessus. Tu veillais alors sur les êtres, sans en être conscient, sans calcul et sans recul. Tout entier dévoué à ton instinct, tu n'écoutais les voix contraires que pour les rassurer: au fond de toi, ton empathie était le moteur.

    Porte toi bien. Veille bien sur mère, maintenant que je ne veille plus sur toi. Sois toujours celui qui me redonne le vif espoir qu'un jour, les ténèbres seront imperceptibles dans le jour qui se fera.

    Ton frère qui t'aime, et à qui tu manques.
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    [LETTRES] Épîtres Diasporoises  Empty Re: [LETTRES] Épîtres Diasporoises

    Message par Zeriézékiri 2010-08-28, 05:16

    Seul au bord de la rive, écoutant le chant matinal et entrecoupé du rossignol, parchemin sur les jambes et la plume à la main, je vous écris cette êpitre pour partager avec vous quelques moments de solitude et de quête d'une ataraxie perdue. Je suis loin des choses et des êtres car en ces moments là je suis sur les traces d'un sentiment perdu et loin de le retrouver. Je suis devenu un homme loin de toutes les préoccupations humaines. Vâte inconsolé, je rumine dans ma tête des rimes pour faire passer le temps sous le froid hivernal.
    L'herbe encore humide de rosée, asperge mes pieds nus balafrés.Je sens mon corps en transe, je suis en train de me metamorphoser. Homme, je deviens petit à petit feuille et j'avance en levitation sous l'impulsion du vent qui trace sa route. Levier, je suis l'instrument d'Archimède pour changer la structure du monde. Je suis devenu un autre être d'un autre temps mais qui vit avec des semblables qui ne me comprennent pas. Je suis dans le monde du songe, feuilletant le livre de la vie, de nos vies anterieures dans lesquelles on ne se souciait de rien ni de personne pour corriger le passé. Je suis un messie.
    J'ai voyagé dans tous les univers possibles et j'ai rencontré dans mes delires toutes les formes de vies possibles. J'ai vu par exemple dans un pays imaginaire, un chien regler la circulation aux hommes qui ne pouvaient pas s'entendre surla question. J'ai vu dans un autre, des arbres qui se saluaient le matin en entrechoquant leurs feuilles nouvelles. J'ai vu des elephants chanter leur hymne national le soir à la clair de lune. J'ai vu des animaux fantastiques qui ont à la place des pieds, le nez à celle des yeux la bouche. J'ai vu monde nouveau où cette harmonie passagère n'est qu'illusion.
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    [LETTRES] Épîtres Diasporoises  Empty Re: [LETTRES] Épîtres Diasporoises

    Message par Cubana 2010-09-03, 03:07

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    [LETTRES] Épîtres Diasporoises  Empty Re: [LETTRES] Épîtres Diasporoises

    Message par Akissi Sukali 2010-09-03, 17:31

    Mamie,

    A l’heure où je t’écris, Becky ton homonyme est endormie près de moi, le rythme de sa respiration régulière berce mon insomnie. Je ne trouve pas le sommeil, en effet. Sans doute perturbée par ce vide que tu as laissé quand tu es partie. Toutes ces années passées près de toi sans vraiment te connaître, me disant que j’avais le temps de toute façon. J’ai pris ta présence pour acquise, je n’ai pas réalisé que nul n’est éternel, et que nous sommes tous appelés à partir.

    Je ferme les yeux et des images défilent, des paysages verts, la maison au village, nos travaux champêtres, ma peur bleu des serpents…

    Je ferme les yeux et des sensations m’envahissent, la fraicheur des nuits étoilées durant lesquelles tu nous racontais l’histoire de la Reine Pokou, l’odeur de l’attiéké cuisant dans la marmite en terre cuite, les cris des poules rebelles que tu pourchassais avec nous, tes petits enfants…

    Mamie, comme tu me manques ! Me remémorer ces instants furtifs que j’ai pu passer avec toi me permets de comprendre combien je suis chanceuse. Becky, ton homonyme, ne saura jamais qu’elle femme forte tu étais, avec quel courage tu t’es battue pour chacun d’entre nous. Je pense à Maelys, ton arrière petite-fille, endormie elle aussi dans son berceau. Comme j’aurais voulu qu’elle puisse ressentir la chaleur de tes bras, connaître ton doux sourire qui reste à jamais gravé dans ma mémoire. Je pense aux enfants que j’aurais peut-être, qui ne sauront pas quelle arrière grand-mère merveilleuse ils auraient pu avoir.

    Oh mamie ! Mon chagrin est immense ce soir, aussi immense qu’il ya cinq ans lorsque l’on m’a annoncé que tu n’étais plus des nôtres.

    Je n’ai qu’un seul regret, celui de ne t’avoir jamais dit à quel point je t’aimais, à quel point tu comptais pour moi. Ce soir j’ai une pensée pour toi, j’espère que là où tu es tu à trouvé la paix et que d’un œil bienveillant, tu continues à veiller sur nous.

    Avec tout mon amour,

    Akissi.
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    [LETTRES] Épîtres Diasporoises  Empty Re: [LETTRES] Épîtres Diasporoises

    Message par Quelqu'un 2010-09-04, 02:51

    Belles épîtres  respect Vos mots et vos manques nous parlent.
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    [LETTRES] Épîtres Diasporoises  Empty Re: [LETTRES] Épîtres Diasporoises

    Message par Lyncx 2010-09-06, 04:55

    Cher ami,

    Je m'autorise à t'interpeller sous ce double qualificatif, sous cet épithète et cet attribut, bien que je ne sais pas si j'en ai toujours le droit. La vie était si simple, quand nous ne nous posions pas ces questions. La jeunesse inconsciente des schismes, des manichéismes et des ségrégations, cette douce camaraderie enfantine que nous dorlotions ensemble sans savoir jamais si elle finirait, peut-être, un jour. Oui, je t'appelle aujourd'hui, cher ami, car cher tu m'es toujours resté, et ami je veux que tu redeviennes.

    Certes, je ne puis forcer l'inébranlable, ni réparer les lourdes pertes que la distance nous a fait subir. Je ne puis, de mes deux mains désormais étrangères à toute poignée de franchise et de vérité, recoller des morceaux de vie que le temps si funeste a éparpillés. De même que les quelques grains de sable épars qui s'éparpillent au gré des vents, notre ancienne complicité aura trop souffert des harmattans et des pluies pour se tasser de nouveau, pour reformer l'argile dure et inaltérable d'antan. Ce temps lourd et irrésistible qui nous emporte, qui m'exila, qui nous détourna et nous traça de nouvelles voies, ce temps que nous croyions ami, cher ami, n'est en réalité que la douce voix de notre inhumanité: elle souffle chaque jour dans nos voiles des vents contraires. Ce temps dont nous nous éprenions, jusqu'à le précipiter, le conjurer et implorer sa sentence, ce temps-là n'est pas une alliée, cher ami. Il m'apparait, aujourd'hui que je m'assied sous l'ombre ténébreux des avenirs incertains, aujourd'hui que des carrefours se dressent, goguenards, devant moi, aujourd'hui où le monde entier m'abandonne à mon sort, il m'apparait sous son vrai visage: une marche funèbre qui se dépeuple chaque jour de ses cadavres. Ce temps là ne nous raproche pas de nos horizons d'enfants. Ce temps-là nous mène dans les limbes, où l'oubli et l'inconstance sont les seules armes d'une foi déchue.

    Que faire d'autre alors, à part se pencher dans l'immensité du désert des hommes pour y chercher le sable qu'on perdit un jour?

    En vérité, cher ami, je n'y crois plus. Je ne crois plus que mon retour changera quelque chose à cet éloignement qui a mis tant d'années à asseoir ses murs. Les méfaits s'accomplissent plus vite que ne se construit un sourire complice, un geste désintéressé, ou même la minuscule larme d'empathie qu'on verse pour un homme qui souffre. Nous pourrions essayer, feindre, sous l'excuse de l'amitié d'enfance, une complicité qui ne reviendra jamais, nous pourrions nous mentir jusqu'à croire en ces mensonges, mais un lien rompu ne sera jamais plus une corde inaltérée que tendent deux coeurs liés depuis le berceau. Je n'y crois plus; et je pense que nous ferions mieux de nous épargner le supplice d'une amitié feinte.

    Oublie donc mon recours, oublie mes suppliques que rien ne motive, sinon l'extrême solitude que je me suis évertué à construire, tout au long de notre séparation. Je me suis fait désormais une raison, puisqu'elle est la seule qui me tient encore compagnie. Les amitiés se perdent, comme les trônes; et à trop s'en éloigner, les rats et les voyageurs en font leur refuge. Ainsi soit-il! Je ne me console alors aujourd'hui que du fait que ton coeur ait pu servir, à d'autres et d'autres choses, et ne soit pas tombé dans la rigidité qui m'emmure. Je ne verserai pas de larmes sur la tombe de notre amitié: et les larmes ne serviront qu'à effacer l'épitaphe que je veux garder en moi comme le vestige dernier de la ruine dont nous sommes coupables.

    Ton ami qui t'aime, et à qui tu manques.
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    [LETTRES] Épîtres Diasporoises  Empty Re: [LETTRES] Épîtres Diasporoises

    Message par Zeriézékiri 2010-09-07, 04:42

    C'est depuis les cîmes des lieus sacrés où nous nous rencontrions pour partager des moments inoubliables que je suis pour écrire au vent qui souffle le secret de notre entente. A quoi bon d'avoir un amour si l'absence équivaut à oubli? Je suis assis à même le rocher que tu occupais quand nous etions ensemble et la solitude me pèse. Le rossignol que j'aperçois accompagne de sa chanson suave le poids qui me surplombe. Je me rappelle les mots que tu me chuchotais à l'oreille: que jamais tu ne me laisserais marcher seul; et pourtant, dans ma solitude je pense à toi. Le soleil au zenith, eclaire le trou qui gardait nos promesses respectives. A côté, les fleurs poussent et je suis en train de confectionner un bouquet exceptionnel, que même le meilleur artiste ne pourrait reproduire, que je viendrai deposer en guise de gerbe sur ta tombe, ma lune.
    Tu t'es eclypsée et pourtant tu éclaires mes pas lents de passant pensant à son coeur qu s'est envolé. Je vois au loin l'eclair de tes yeux et j'entends en sourdine ton sourire de fée. J'ecris cette lettre au vent qui s'en va emportant avec lui l'espoir d'un homme mais qui espère le recouvrer par la missive réponse que le vent du retour lui delivrera.
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    [LETTRES] Épîtres Diasporoises  Empty Re: [LETTRES] Épîtres Diasporoises

    Message par Lyncx 2010-09-07, 05:54

    Sublime !  respect
    Le vide est définitivement l'essence même de la création: il nous inspire, et elle recouvre toujours nos maux...

    Mais trêve de digression. Embarassed Place aux épîtres.
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    Message par Beuz 2010-09-07, 07:16

    je viens de finir un texte que j'ai dans mon agenda de2004!a peine ai je fini de le saisir qu"il disparait!!!!j'ai plus la force,j'attends demain!!! scratch
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    [LETTRES] Épîtres Diasporoises  Empty Re: [LETTRES] Épîtres Diasporoises

    Message par Zeriézékiri 2010-09-08, 17:07


    Si tu me permets che lyncx,

    Horace - Art poétique, ou Epître aux Pisons

    Si un peintre voulait ajuster à une tête d'homme un cou de cheval et recouvrir ensuite de plumes multicolores le reste du corps, composé d'éléments hétérogènes, de sorte qu'un beau buste de femme se terminât en laide queue de poisson, à ce spectacle, pourriez-vous, mes amis, ne pas éclater de rire ? Croyez-moi, chers Pisons, un tel tableau donnera tout à fait l'image d'un livre dans lequel seraient représentées, semblables à des rêves de malade, des figures sans réalité, où les pieds ne s'accorderaient pas avec la tête, où il n'y aurait pas d'unité. - Mais, direz-vous, peintres et poètes ont toujours eu le droit de tout oser. - Je le sais ; c'est un droit que nous réclamons pour nous et accordons aux autres. Il ne va pourtant pas jusqu'à permettre l'alliance de la douceur et de la brutalité, l'association des serpents et des oiseaux, des tigres et des moutons.

    Souvent, à un noble début, plein de grandes promesses, on coud une ou deux draperies éclatantes qui brillent de loin : c'est le bois sacré et l'autel de Diane ; ou bien un ruisseau qui court en serpentant dans les riantes campagnes ; ou encore une description du Rhin, ou le tableau de l'arc-en-ciel. Mais tout cela n'est pas à sa place. Peut-être es-tu habile à dessiner les cyprès : qu'importe à celui qui te paie pour le peindre au moment où son navire est brisé par le flot et où il va perdre l'espoir d'échapper au naufrage ? Tu as commencé à tourner une amphore : la roue tourne ; pourquoi ne vient-il qu'une cruche ? Bref, écris ce que tu voudras ; que du moins ton sujet ait simplicité et unité.

    Nous autres poètes, mon cher Pison et vous, ses dignes fils, nous sommes, pour la plupart, abusés par l'apparence du bien : je fais effort pour être concis, je deviens obscur ; à chercher l'élégance, je perds la force et le souffle ; je veux atteindre le sublime, je tombe dans l'enflure ; il rampe à terre, celui qui est trop préoccupé de sa sûreté et redoute la tempête ; pour vouloir apporter, par des détails hors nature, de la variété dans un sujet un, on en vient à peindre un dauphin dans les bois, un sanglier sur les flots ; on veut éviter une faute, on tombe dans un mal, si l'on n'est pas habile. Près de l'école émilienne, il y a un statuaire qui excelle à faire les ongles et à reproduire en bronze la souplesse des cheveux, mais son sujet est manqué, parce qu'il ne sait pas camper un ensemble. Eh bien ! si je songeais à écrire, je ne voudrais pas plus ressembler à cet artiste, que je n'aimerais un nez de travers avec de beaux yeux et de beaux cheveux noirs.

    Vous qui écrivez, prenez une matière proportionnée à vos forces ; soupesez longuement ce que vos épaules peuvent ou ne peuvent pas porter. Si vous choisissez un sujet qui vous convienne, vous ne manquerez ni d'abondance, ni de cette clarté qui vient de l'ordre.

    L'ordre aura cette vertu et ce charme, - ou je me trompe fort, - d'amener à dire tout de suite ce qui doit être dit tout de suite, de faire renvoyer le reste en le laissant de côté pour le moment ; s'attacher à une idée, en abandonner une autre, voilà ce qu'il faut faire quand on a entrepris un poème.

    Pour l'arrangement des mots dans la phrase, il convient d'être minutieux et attentif : ce sera une belle réussite de donner de la nouveauté à un terme par une habile alliance de mots. Il peut être nécessaire de représenter par de nouveaux signes des idées jusqu'alors inconnues : on pourra créer des mots que ne connaissait pas le vieux Céthégus, on y sera autorisé à condition de le faire avec réserve ; ces mots nouveaux, récemment créés, prendront crédit, si on les dérive discrètement du grec. Pourquoi, en effet, avoir donné à Cécilius et à Plaute un droit qu'on refuserait à Virgile et à Varius ? Quelles raisons de me contester les quelques acquisitions que je puis faire, quand Caton et Ennius ont enrichi la langue nationale et créé des termes nouveaux ? On a toujours eu, on aura toujours la liberté de mettre en circulation un mot marqué au coin de l'année. Les forêts changent de feuilles à mesure que l'année décline, et les premières tombent : ainsi meurent les vieilles générations de mots, et les nouvelles, comme des jeunes gens, s'épanouissent et prennent force. Nous sommes voués à la mort, nous et nos oeuvres. Nous pouvons creuser des ports pour abriter nos vaisseaux contre les vents : c'est une oeuvre digne d'un roi ; des marais longtemps stériles et qui portaient bateau, nourrissent aujourd'hui les villes voisines et sont sillonnés par la charrue ; le cours d'une rivière a été modifié parce qu'elle ravageait les cultures ; on lui a donné une meilleure direction : toutes ces oeuvres sont mortelles et condamnées à disparaître ; à plus forte raison, les mots ne conserveront-ils pas un éclat et un crédit éternels. Beaucoup renaîtront, qui ont aujourd'hui disparu, beaucoup tomberont, qui sont actuellement en honneur, si le veut l'usage, ce maître absolu, légitime, régulier de la langue.

    Quel vers peut chanter les exploits des rois et des chefs, la guerre et ses tristesses, c'est Homère qui l'a montré. Le distique a exprimé d'abord la plainte funèbre, puis a été consacré à l'ex-voto. Qui a, le premier, fait servir ce mètre modeste à l'élégie, les grammairiens en discutent encore, et le procès est toujours pendant. La fureur arma Archiloque de l'iambe, qui est sa création ; ce pied fut ensuite adopté par les socques et les hauts cothurnes, comme bien approprié au dialogue, fait pour dominer les bruits de la foule et convenant naturellement à l'action. La Muse donna à la lyre la mission de chanter les dieux et les enfants des dieux, l'athlète vainqueur, le cheval arrivé le premier à la course, les amours des jeunes gens, le vin qui délie les langues. Si je ne puis ni ne sais observer le rôle de chaque mètre, tel que je viens de le décrire, ni le ton propre à chaque oeuvre, pourquoi me laisser appeler poète ? pourquoi, par mauvaise honte, préférer l'ignorance à l'étude ?

    Un sujet comique ne veut pas être traité en vers de tragédie, comme il serait choquant de raconter le festin de Thyeste dans des vers faits pour un simple particulier, chaussé du brodequin. Que chaque sujet garde donc le ton qui naturellement lui convient. Parfois cependant la comédie élève la voix : Chrémès, dans sa colère, enfle le ton pour gourmander son fils. Souvent, d'autre part, un personnage tragique exprime sa douleur en un langage familier : Télèphe et Pelée, misérables et exilés, renoncent aux termes ampoulés, aux mots d'un pied et demi, afin de toucher par leurs plaintes le coeur du spectateur.

    Il ne suffit pas que l'oeuvre poétique soit belle ; elle doit être émouvante et conduire où il lui plaît l'âme du spectateur. L'homme rit en voyant rire, pleure en voyant pleurer. Si tu veux me tirer des pleurs, tu dois d'abord en verser toi-même ; alors seulement je serai touché de tes misères, Télèphe, et des tiennes, Pélée ; si, au contraire, tu tiens mal ton rôle, je dormirai ou rirai. Les paroles doivent s'accorder à l'air du visage ; tristes dans l'affliction, menaçantes dans la colère, badines dans l'enjouement, sérieuses dans la gravité. La nature, en effet, commence par nous façonner intérieurement à toute espèce de situation, elle nous pousse à la joie ou à la colère, nous abat et nous torture sous le poids du chagrin, puis elle fait jaillir nos sentiments dans nos paroles. Si le langage de l'acteur détonne avec son état, tous les spectateurs, chevaliers ou autres, éclateront de rire. Il y a une grande différence de langage entre un dieu et un héros ; un vieillard rassis et un jeune homme tout bouillant d'ardeur ; une dame importante et une nourrice empressée ; un marchand voyageur et un paysan qui cultive son petit champ ; un habitant de Colchide ou d'Assyrie ; un indigène de Thèbes ou d'Argos.

    Ecrivain, suis la tradition ; ou, si tu crées des caractères, qu'ils soient d'accord avec eux-mêmes. Veux-tu représenter Achille couvert de gloire ? Il sera actif, emporté, inexorable, violent ; il aifirmera sa volonté de ne point se soumettre aux lois, il ne demandera rien qu'aux armes ; Médée sera farouche et inflexible ; Ino, gémissante ; Ixion, perfide ; Io, errante ; Oreste, sombre. Veux-tu mettre à la scène un sujet qui n'a pas encore été traité, et te sens-tu assez fort pour créer un personnage nouveau ? que ce personnage reste jusqu'au bout tel qu'il s'est montré au début, qu'il demeure semblable à lui-même. Il est difficile de donner une vie individuelle à des sentiments abstraits ; et tu risqueras moins à mettre en actes des épisodes de l'Iliade qu'à traiter le premier un sujet inconnu, que nul avant toi n'a traité. Des matériaux qui sont le bien de tous deviendront ta propriété, si tu ne t'attardes pas dans un cercle banal, accessible à tous, si tu ne t'astreins pas dans ta traduction à un servile mot à mot, si tu ne te jettes pas dans une étroite imitation, d'où tu ne pourras sortir par défiance de tes forces ou par respect pour l'économie de l'ouvrage.

    Bien entendu, tu ne commenceras pas, comme jadis le poète cyclique : «Je chanterai la destinée de Priam et la guerre fameuse...» Comment tenir une promesse faite d'une voix si éclatante ? La montagne va accoucher d'une ridicule souris. Comme il est plus habile, le poète qui commence, sans exagération maladroite : «Dis-moi, Muse, le héros qui, après la prise de Troie, vit tant d'hommes de caractères différents et tant de cités !» Chez lui, la fumée n'étouffe pas la flamme, mais c'est de la fumée que jaillit la lumière ; alors apparaissent des beautés, des merveilles : Antiphate, Scylla, Charybde, le Cyclope ; et puis, il ne remonte pas à la mort de Méléagre pour raconter le retour de Diomède ; son récit de la guerre de Troie ne commence pas à l'oeuf des jumeaux ; toujours il vole au dénouement, et entraîne son auditeur au coeur du sujet, qu'il suppose connu, laissant de côté tout ce qu'il n'espère pas pouvoir traiter avec éclat. Et il imagine si bien ses fictions, il a un tel art de mêler invention et réalité, que jamais le milieu ne jure avec le début, la fin avec le milieu.

    Pour toi, veux-tu savoir ce que nous réclamons, le public et moi : écoute-moi bien, et tu verras alors les spectateurs attendre, en applaudissant, la fin de la pièce, et rester assis jusqu'au moment où le joueur de flûte leur demandera d'applaudir. Il faut marquer exactement les traits de chaque âge et peindre de couleurs convenables les caractères qui changent avec les années. L'enfant, quand il sait répéter ce qu'on lui a appris et marcher d'un pas assuré, brûle de jouer avec ses camarades ; il se met en colère et se calme sans motifs ; il change à tout instant. L'adolescent imberbe, enfin libéré de son précepteur, aime les chevaux, les chiens, la piste ensoleillée du Champ de Mars ; comme une cire molle, il se laisse façonner au vice, regimbe aux avertissements, met longtemps à songer à l'utile, dépense sans compter, a de l'orgueil, des désirs extrêmes ; il abandonne vite ce qu'il a aimé. Quand vient l'âge d'homme, les goûts et le caractère changent : on recherche le crédit, les relations, on sacrifie tout aux honneurs ; on se garde d'une faute, pour n'avoir pas ensuite la peine de revenir en arrière. Le vieillard est sujet à d'innombrables maux ; il amasse, puis, ô pitié ! met de côté son argent et n'ose pas s'en servir, il administre ses affaires avec lenteur et timidité, remet au lendemain, a peu d'espoirs, peu d'activité, voudrait être maître de l'avenir ; il est difficile à vivre, grondeur, fait l'éloge du temps où il était enfant, ne cesse de critiquer et de reprendre les jeunes. Les années apportent avec elles maints avantages, qu'elles nous enlèvent quand nous sommes sur le retour. Ne confie donc pas à un jeune homme un rôle de vieillard, à un enfant un rôle d'homme, et donne à chaque âge la vie extérieure et le caractère qui lui conviennent.

    Tantôt l'action se passe sur la scène, tantôt elle fait l'objet d'un récit. L'esprit est moins vivement frappé de ce que l'auteur confie à l'oreille, que de ce qu'il met sous les yeux, ces témoins irrécusables : le spectateur apprend tout sans intermédiaire. Cependant ne mets pas sur la scène ce qui doit se passer dans la coulisse, et soustrais aux regards certains faits, que viendra raconter un témoin oculaire. Ce n'est pas devant le public que Médée doit massacrer ses enfants, l'exécrable Atrée faire cuire les membres de ses fils, Procné se changer en oiseau, Cadmus en dragon. Je n'ajoute aucune foi à de tels spectacles et je ne les admets pas.

    Que la pièce ait cinq actes, ni plus ni moins : c'est le seul moyen de la voir redemandée et jouée de nouveau. Pas d'intervention divine, à moins que le dénouement n'exige un dieu. En scène, trois personnages au plus.

    Le choeur tiendra son rôle et sera vraiment un personnage. Il ne dira entre les actes rien qui ne tienne au sujet et n'y soit étroitement lié. Son rôle est d'appuyer et de conseiller en ami les honnêtes gens, de calmer les colères, de réserver sa sympathie aux personnages scrupuleux, de célébrer la sobriété, la justice tutélaire, la loi, la paix. Il gardera les secrets et demandera aux dieux, dans ses prières, de rendre le bonheur aux misérables, de l'enlever aux superbes.

    Autrefois, la flûte n'était pas, comme aujourd'hui, faite de plusieurs pièces unies les unes aux autres par du cuivre blanc, elle ne rivalisait pas avec la trompette ; elle avait un son grêle, était toute simple, et avec ses quatre trous donnait le ton au choeur, le soutenait, et pouvait s'entendre de toutes les places du théâtre, où la foule ne s'entassait pas encore ; les spectateurs, peu nombreux, pouvaient aisément se compter ; c'étaient d'honnêtes gens, religieux, purs. Mais bientôt la victoire accrut les territoires, agrandit les villes ; chacun put, sans risque, les jours de fête, faire, même de jour, des libations à son Génie ; alors le rythme et la mesure usèrent de plus de liberté. Quel goût, en effet, attendre d'un public où les paysans grossiers, leur travail terminé, se mêlaient aux citadins, où se confondaient le rustre et l'homme cultivé ? Dès lors, à l'art ancien le joueur de flûte ajouta la danse et le luxe du costume, et traîna sa longue robe d'un bout à l'autre de la scène. La lyre, elle aussi, jadis si sévère, vit croître le nombre de ses cordes ; on entendit sur le théâtre un langage inaccoutumé, d'une audacieuse abondance. Le choeur donna d'utiles conseils, prophétisa l'avenir, tout à fait comme la pythonisse rendant ses oracles à Delphes.

    Celui qui, pour un vil bouc, disputa le prix du poème tragique, montra ensuite les Satyres dans leur rustique nudité, et fit l'essai, sans nuire à la gravité de la tragédie, d'un jeu plus rude : il fallait, par le charme d'une agréable nouveauté, retenir le spectateur après le sacrifice et les copieuses libations où il laissait sa raison. Mais on doit présenter ces satyres rieurs et bavards et mêler le plaisant au sérieux, sans aller jusqu'à conduire dans une sombre taverne, au milieu de gens au langage grossier, un dieu ou un héros qu'on vient de voir couvert, comme un roi, d'or et de pourpre. Cependant, pour éviter de ramper, il ne faut pas se perdre dans les nuages. Il ne convient pas à la tragédie de débiter des vers sans dignité, comme une dame qui, un jour de fête, danse pour remplir un devoir religieux ; elle ne fréquentera qu'avec une certaine réserve les Satyres effrontés. Pour moi, chers Pisons, si j'écrivais un drame satyrique, je ne me bornerais pas à l'expression simple et au mot propre, et je ne travaillerais pas simplement à proscrire le ton de la tragédie, en donnant à Dave et à l'effrontée Pythias, quand elle fait cracher un talent au vieux Simon son maître, le même langage qu'à Silène, nourricier, gardien et serviteur de Bacchus. Je prendrais dans la langue courante les éléments dont je façonnerais celle de mes vers ; si bien que tout le monde croirait pouvoir en faire autant, mais verrait à l'expérience que les efforts pour y réussir n'aboutissent pas toujours : tant a d'importance le choix et l'arrangement des termes, tant peuvent prendre d'éclat des expressions empruntées au vocabulaire ordinaire ! Les Faunes ne doivent pas, à mon sens, au sortir de leurs forêts, imiter les habitués des carrefours ou ceux du forum ; ils n'ont pas à tenir, comme de jeunes poseurs, des propos délicats ou, inversement, se faire remarquer par un langage obscène et dégoûtant. Ce serait le moyen de choquer les chevaliers, les hommes libres, les riches ; et les applaudissements des mangeurs de noix et de pois chiches ne leur vaudraient ni la faveur du public, ni la couronne.

    Une brève suivie d'une longue s'appelle iambe ; c'est un pied rapide. Cette rapidité a même fait donner au vers le nom de trimètre iambique, alors que c'est un sénaire. Il n'y a pas très longtemps, tous les pieds étaient des iambes ; puis, afin d'arriver aux auditeurs plus lent et plus grave, il admit le lourd spondée, mais ne poussa pas la complaisance et la bonne volonté jusqu'à lui céder aimablement la seconde ou la quatrième place. L'iambe est rare dans les nobles trimètres d'Accius, et la lourdeur des vers qu'Ennius lance sur la scène prouve ou que l'ouvrage a été fait trop vite et sans soin, ou que le poète ignorait fâcheusement son métier. Le premier venu n'est pas capable d'apprécier le rythme d'un poème ; aussi les poètes latins ont-ils bénéficié d'une indulgence qu'ils ne méritaient pas. Est-ce une raison pour aller au hasard et écrire sans observer les règles ? ou bien vais-je penser que, mes fautes sautant aux yeux de tous, je serai tranquillement à l'abri dans l'espoir du pardon ? En somme, j'évite la critique, mais je ne mérite aucun éloge. Pour vous, feuilletez jour et nuit les livres grecs. - Mais, direz-vous, vos pères goûtaient le rythme de Plaute et ses plaisanteries. - Sans doute, mais leur admiration était excessive et un peu sotte ; vous et moi, nous savons faire la distinction entre une locution grossière et une expression gracieuse, et reconnaître au doigt et à l'oreille un son régulier.

    C'est Thespis qui inventa, dit-on, la tragédie, inconnue avant lui ; il promena sur un chariot des acteurs qui, le visage barbouillé de lie, chantaient et jouaient ses pièces. Après lui, Eschyle créa le masque et la longue robe ; il installa la scène sur de petits tréteaux, donna aux acteurs une voix imposante et les chaussa du cothurne. Vint ensuite la comédie ancienne, qui n'est pas médiocrement estimable ; mais la liberté dégénéra en licence et les excès durent être refrénés par une loi : cette loi fut portée, en effet, et le choeur, privé du droit de nuire, dut se soumettre et se taire.

    Nos poètes n'ont laissé aucun genre sans s'y essayer. Leur gloire n'a rien perdu à l'abandon des sujets grecs et à la représentation de la vie romaine, sous la robe prétexte comme sous la toge ; et le Latium n'aurait pas été moins grand par sa littérature que par son courage et l'éclat de ses armes, si le lent travail de la lime ne rebutait tous nos poètes. Vous donc, qui êtes du sang de Pompilius, reprenez vos vers tant que vous n'aurez pas passé de longues journées à raturer, à élaguer, à repolir vingt fois votre ouvrage.

    Pour Démocrite, l'homme de génie est plus favorisé du sort que le malheureux qui peine à devenir habile, et l'Hélicon n'est pas fait pour les poètes raisonnables. Sous ce prétexte, la plupart des écrivains ne se taillent plus les ongles, laissent pousser leur barbe, cherchent la solitude, fuient les bains. Ah ! le beau moyen d'obtenir le nom glorieux de poète que de ne pas confier au barbier Licinus une tête que ne guérirait pas l'ellébore des trois Anticyres ! Je suis un beau maladroit, moi, de me purger au printemps ! Si je ne le faisais pas, personne ne me surpasserait comme poète ! Eh bien non ! je jouerai le rôle de la pierre ; impuissante elle-même à couper, elle sert à aiguiser la lame. Sans rien écrire moi-même, je dirai la tâche et le devoir du poète ; comment il peut enrichir, nourrir, façonner son talent ; ce qui est bon, ce qui est mauvais, où mène le mérite, où conduit la sottise.

    La raison, voilà le principe et la source de l'art d'écrire : tu trouveras les idées dans la philosophie de Socrate. Quand tu la posséderas bien, les mots n'auront pas de peine à suivre. Connais-tu tes devoirs envers ta patrie et tes amis, l'amour dû à tes parents, à ton frère, à ton hôte, les obligations d'un sénateur, d'un juge, le rôle du général à la guerre ? Alors, sûrement, tu sauras donner à chaque personnage son vrai caractère, tu observeras la vie et les hommes comme en un miroir, tu reproduiras ce que tu auras vu ; ce sera le langage même de la vie. Parfois une pièce renferme de beaux passages, avec des caractères bien dessinés, mais elle n'a ni grâce, ni vigueur dans la construction ; pourtant, elle charmera plus sûrement le public et réussira mieux à le retenir que des vers sans pensée ou d'harmonieuses futilités.

    Les Grecs, ces Grecs qui ne prisaient que la gloire, ont reçu de la Muse le génie et une élocution parfaite. A Rome, au contraire, les enfants apprennent, par de longs calculs, à diviser un as en cent parties. «Voyons, fils d'Albinus : de cinq onces, j'en retranche une, que reste-t-il ?... Tu hésites ?... - Un tiers d'as. - Allons, tu pourras administrer ton bien, j'ajoute une once. Qu'est-ce que j'obtiens ? - Un demi-as». Quand une fois cette rouille, cette obsession du gain auront empoisonné les esprits, espérons-les capables d'écrire des vers dignes d'être parfumés à l'huile de cèdre ou conservés dans de brillants coffres de cyprès !

    Les poètes veulent instruire ou plaire ; parfois plaire et instruire en même temps. Pour instruire, sois concis ; l'esprit reçoit avec docilité et retient fidèlement un court précepte ; s'il est trop long, il laisse échapper tout ce qu'il a reçu de trop. La fiction, imaginée pour amuser, doit, le plus possible, se rapprocher de la vérité ; elle n'a pourtant pas le droit de nous entraîner partout où il lui plaît, par exemple devant une Lamie qui retirerait de ses entrailles un enfant vivant qu'elle vient de dévorer. Les vieillards ne veulent pas d'un poème sans enseignement moral ; les Ramnès dédaigneux ne vont pas voir un drame trop austère ; mais il obtient tous les suffrages celui qui unit l'utile à l'agréable, et plaît et instruit en même temps ; son livre enrichit Sosie le libraire, va même au-delà des mers, et donne au poète une notoriété durable.

    Il y a pourtant des fautes pardonnables. La corde de la lyre ne donne pas toujours le son que demandent la pensée et les doigts ; on veut une note grave, trop souvent celle qu'elle renvoie est aiguë. La flèche n'atteint pas toujours son but. Mais si, dans un poème, les beautés l'emportent, quelques taches ne me choqueront pas : l'inattention ou la faiblesse humaine les a laissé échapper. Qu'est-ce à dire ? Le copiste qui, malgré tous les avertissements, fait toujours la même faute, ne mérite pas l'indulgence ; on se moque du joueur de cithare qui bronche toujours sur la même corde. De même, celui qui toujours se néglige est pour moi comme ce Chérilus, chez qui je suis, en souriant, tout surpris de trouver deux ou trois bons vers ; et pareillement, je suis furieux quand le bon Homère quelquefois somnole, sans songer que, dans un long poème, il est permis de se laisser un peu aller au sommeil. Un poème est comme un tableau : tel plaira à être vu de près, tel autre à être regardé de loin ; l'un demande le demi-jour, l'autre la pleine lumière, sans avoir à redouter la pénétration du critique ; l'un plaît une fois ; l'autre, cent fois exposé, plaira toujours.

    O toi, Pison l'aîné, je sais que ton père a développé en toi un goût naturel ; pourtant, écoute ce précepte et retiens-le bien ; tel art supporte la médiocrité : un jurisconsulte, un avocat peut ne pas avoir la puissance de l'éloquent Messala, ni la science d'Aulus Cascellius, sans cesser d'être estimable. Mais les poètes n'ont pas le droit d'être médiocres ; il leur est refusé par les dieux, par les hommes, par la publicité. Dans un repas, d'ailleurs bien servi, on est choqué par de la mauvaise musique, des parfums formant pommade, des pavots au miel de Sardaigne, parce que le repas pouvait se passer de ces accessoires. De même, dans un poème, dont le seul objet est l'agrément de la vie, si l'on s'écarte un peu du premier rang, on tombe au dernier. Quand on ne sait pas jouer, on ne va pas au stade ; quand on ignore le maniement de la paume, du disque, du cerceau, on reste tranquille ; sinon, les spectateurs, pressés dans l'amphithéâtre, ont le droit de se moquer. Et si l'on ne sait pas faire des vers, on a l'audace d'en écrire ! «Et pourquoi pas ? Je suis un homme libre de naissance, je paie le cens des chevaliers, je suis sans reproche». C'est possible, mais tu ne diras ni ne feras rien malgré Minerve.

    C'est bien là ton sentiment et le fond même de ta pensée. Je vais plus loin : si un jour tu écris, soumets ton poème à l'oreille exercée d'un Mécius, à celle de ton père, à la mienne ; puis renferme neuf ans ton parchemin dans la cassette ; tu pourras le détruire, tant qu'il n'aura pas vu le jour ; mais le mot une fois parti ne revient plus.

    Les hommes vivaient dans les bois, lorsqu'un poète sacré, interprète des dieux, les dégoûta du sang et d'une répugnante nourriture : c'était Orphée ; de là, cette légende, qu'il charmait les tigres et les lions pleins de rage. Autre légende : Amphion, fondateur de Thèbes, mettait, au son de sa lyre, les rochers en mouvement, et, par la séduction de ses prières, les menait où il voulait. Distinguer l'intérêt général des intérêts privés, le sacré du profane, interdire les unions vagabondes, régler la condition des époux, fonder les villes, graver les lois sur des tables de bois, tels furent les premiers effets de la sagesse, telle fut l'origine des honneurs et du caractère divin attribué au poète. Ensuite, l'illustre Homère et Tyrtée donnèrent par leurs vers du courage aux guerriers ; c'est en vers que fut dévoilé l'avenir ; c'est au langage des muses qu'eut recours la morale, la cour faite aux rois ; c'est la poésie qui inventa les représentations dramatiques, ce délassement qui suit les longs travaux. Il n'y a donc pas à rougir de servir la Muse experte à la lyre et Apollon chanteur.

    Est-ce à la nature, est-ce à l'art que la poésie doit son mérite ? On se l'est demandé. Pour moi, je ne vois pas ce que pourrait l'effort sans une fertile veine, ni le génie sans culture ; l'un a besoin de l'autre, tous deux s'entendent et collaborent. Pour atteindre à la course le but désiré, on s'astreint dès l'enfance aux fatigues et à la peine, on brave le chaud et le froid, on s'abstient de Vénus et du vin ; le joueur de flûte, qui chante aux jeux Pythiques, a commencé par apprendre et par obéir à un maître. Et aujourd'hui, l'écrivain se borne à dire : «Moi, je fais des vers admirables ! Le dernier est un galeux ! Il n'y a pour moi qu'une honte, me laisser dépasser et confesser que j'ignore vraiment ce que je n'ai point appris».

    Semblable au crieur public qui ramasse la foule pour une vente, le poète, s'il est gros propriétaire ou riche rentier, appelle autour de lui les flatteurs en faisant miroiter à leurs yeux un bénéfice. Qu'il soit, en outre, habile à bien ordonner un plantureux repas, à cautioner un malheureux, à l'arracher aux fâcheuses difficultés d'un procès, ce sera miracle, s'il est assez heureux pour distinguer un menteur d'un ami véritable. Si tu as fait un cadeau ou que tu te prépares à en faire un, ton homme sera tout content : ce n'est pas le moment de lui lire tes vers, il ne manquerait pas de s'exclamer : Bien ! Très bien ! Parfait ! Ton poème amènera la pâleur sur son visage, de douces larmes dans ses yeux, des trépignements dans ses jambes. Ainsi, dans un convoi funèbre, les pleureuses à gages crient et gesticulent plus que la famille, dont la douleur est vraie. Le flatteur, qui au fond se moque, se montre plus ému que celui qui, sincèrement, approuve.

    Quand les rois de ce monde veulent savoir si quelqu'un mérite leur amitié, ils le soumettent, dit-on, à la question du vin et lui font avaler maintes rasades. Si tu fais des vers, ne te laisse jamais tromper par des gens qui se dissimulent sous une peau de renard. Quand on venait lire des vers à Quintilius Varus : «Je t'en prie, disait-il, fais cette correction, puis cette autre». Répondais-tu que tu ne pourrais mieux faire, que tu avais trois ou quatre fois essayé en vain, il te disait alors de tout effacer et de remettre sur l'enclume les vers mal venus. Aimais-tu mieux défendre ta faute que de la corriger, il n'ajoutait pas un mot, renonçait à toute insistance inutile, et te laissait t'admirer tout seul et sans rivaux. L'honnête homme, le sage, critiquera les vers faits sans art, condamnera ceux qui sont durs, effacera d'un trait de plume ceux qui manquent de grâce, supprimera les ornements ambitieux, demandera qu'on éclaire les passages obscurs, dénoncera les expressions ambiguës, notera les changements nécessaires ; il deviendra un Aristarque ; il ne dira pas : «Pourquoi blesser un ami à propos de bagatelles ?» Ces bagatelles feront un jour le malheur du poète, quand le public l'accueillera par des moqueries et des sifflets.

    On redoute et on évite le malheureux en proie à la gale, à la jaunisse, aux fureurs fanatiques, à la colère de Diane ; le sage ne fait pas autrement pour le poète insensé ; les enfants le tourmentent et le poursuivent sans se garer des coups. Lui, la tête en l'air, hurle ses vers et va à l'aventure. Qu'il lui arrive, comme à l'oiseleur qui guette les merles, de tomber dans un puits ou une fosse, laissez-le s'égosiller à crier : «Au secours, citoyens !», gardez-vous de le retirer. A ceux qui voudraient lui venir en aide et lui lancer une corde, je dirai : «Savez-vous s'il ne s'est pas jeté à dessein dans ce trou, et s'il veut vraiment qu'on le sauve ?» et je raconterai la légende du poète de Sicile, Empédocle, qui voulut se faire passer pour un dieu, et, de sang-froid, se précipita dans les flammes de l'Etna. Le poète a la liberté et le droit de se donner la mort ; le sauver, malgré lui, c'est le tuer. Ce n'est pas la première fois qu'on en voit agir ainsi : sauvez-le, il ne redeviendra pas un simple mortel, et ne renoncera pas à la gloire d'une mort fameuse. On ne voit d'ailleurs pas bien pourquoi il s'acharne à écrire en vers : a-t-il donc sali le tombeau de ses pères ? souillé l'endroit redoutable marqué par la foudre ? ce qui n'est pas douteux, c'est qu'il est fou : comme un ours qui a réussi à briser les barreaux de sa cage, il met, par ses odieuses déclamations, ignorants et savants en fuite ; qu'un malheureux se laisse prendre, il s'agrippe à lui et ne le lâche que mort ; la sangsue ne se détachera de la peau que gorgée de sang.

    Traduction de François Richard (1931)


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    Message par Lyncx 2010-09-15, 01:18

    Cher ami,

    Connais-tu, toi qui es resté à cette campagne qui m'est aujourd'hui si chère, ce qui nous attend ici? Je ne regrette pas beaucoup de choses, mais je garde en mon douloureux souvenir l'amère perte de ce qui faisait alors notre fortune à tous. J'ai perdu le despotisme de la nuit. Et les seuls instant où je m'en rappelle sont ceux où, observant la rue de ma chambre nue, je regarde la nuit d'ici déchoir sous la frénésie du progrès.

    C'est un champ de ruines, des décombres d'une lutte passée et à venir, qui s'étendent à perte de vue.

    Le monde à 4h49 du matin, vu de ma fenêtre, ressemble à ces lits défaits dont on hésite à dire s'ils portèrent l'amour ou la mort. A 4h49, il est calme et sombre, morne et silencieux, beau et triste comme une vierge qui attend, au pied d'une alcôve bancale, le tumultueux destin auquel elle est désormais résignée. A 4h49 du matin, le monde parle, une autre langue que ne comprennent point ses prospects défloreurs.

    Une impression de solitude infinie nous envahit alors. Délicieuse mélancolie du berger devant le désert à traverser, sublime tristesse du paysan devant l'étendue du champ à ensemencer. Une impression d'être le seul, le gardien élu qui doit guider la parturiente moribonde dans sa demeure dernière, après qu'elle ait accouché de ses bourreaux. Car le monde à 4h49 du matin est le témoin incessant de cette lutte quelquefois âpre, souvent morne, mais toujours tragique, que se livrent une nuit qui finit et une journée déjà lasse.

    J'étais donc accoudé à l'embrasure de ma fenêtre fermée. Par les vitres froides, je regardais, de ma chambre qui baignait encore dans les ténèbres, la nuit qui sévissait au dehors. Une nuit factice certes, nimbée d'ions et de particules qui, sous le faisceau des innombrables lueurs citadines, formaient une buée épaisse et lumineuse qui empêchait tout totalitarisme nocturne. Ces minuscules lucioles éclairaient, comme dans presque toutes les villes, ce qui restait des ripailles et des folies du jour, et dont la nuit se faisait la triste héritière. Tout le legs de l'absurdité diurne était étalé là, indécent de réalisme, et chaque sachet en plastique, chaque voiture garée, chaque défaillance intruse dans ces ténèbres était un témoignage de la défaite éternelle de la nuit devant la toute-puissance des hommes qui osèrent l'éclairer. A peine la nuit voulait-elle asseoir son règne que lui rappelaient sa soumission les indénombrables souillures des citadins sur sa robe noire.

    Tandis que je noyais mon regard dans celui de cette moribonde qui n'en finissait pas de trépasser, des êtres commençaient alors à se mouvoir. Premiers témoins d'une bataille dont l'issue était déjà certaine, ils se déplaçaient furtivement sous les grandes ombres que la vaincue, en vain, tentait de tendre encore. Ainsi que les pas étouffés d'une assemblée dans une chambre mortuaire, les mouvements des passants étaient discrets, presque coupables, tant la défaite avait ce côté solennel qui ne caractérise que les instants tragiques. Pas de ces tragédies romanesques et impudentes, qui s'étalent au regard des hommes et à leur jouissance. Pas de ces tragédies héroïques, références des enfants et des âmes qui se forgent, qui servent à une quelconque cause. La tragédie à laquelle assistaient ces passants était de cette nature presque indéfinissable d'un sac collectif, dont même les rapporteurs participent, et dont la tristesse se délayait dans la profondeur de l'oubli des hommes. Personne ne raconterait jamais cette tragédie, car personne ne s'en souvenait plus, une fois qu'elle était révolue.

    A chaque 4h49 du matin, incessamment, une nuit se meurt sans larmes et sans honneur. Et je suis là pour assister à cette exécution.
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    Message par Cubana 2010-09-15, 02:58

    C'est trop beau ,les larmes me montent aux yeux Sad
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    Message par Lyncx 2010-09-15, 05:47

    Pour cause: rien n'est plus triste que le sort de nos nuits...
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    Message par Cubana 2010-09-15, 06:24

    Lorsque l'aube s'amorce ,que le silence règne ,que les bruits nocturnes s'éteignent et que les bruits diurnes n'ont pas démarré ,nul chant de grillon ,nul chant d'oiseau ,seul le silence...ce moment déconnecté de tout ,comme si le temps avait arrêté sa course ,un moment court mais qui semble durer ,un moment pendant lequel on se sent envahi par une grande paix intérieure ,un moment suspendu comme une seconde d'éternité au milieu du cosmos...
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    Message par Lyncx 2010-09-15, 14:59

    La solennité de cet instant nous isole, hors des hommes et hors du temps, et nous fait ressentir ce que ressent alors l'ermite au sommet de la falaise perdue: le goût sublime de la solitude. Quand le seul être vers lequel on doit se tourner est soi-même, quand aucune feinte n'est plus utile, quand l'Autre ne regarde plus, la seule coercition qui nous pèse alors est celle qu'impose la foi. Dès lors, deux seules issues possibles: déchoir ou espérer, s'avilir ou rester homme.

    J'aimerais bien lire une de tes lettres, Cubana Wink
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    Message par Zeriézékiri 2010-09-16, 08:39

    Cubana a écrit:Lorsque l'aube s'amorce ,que le silence règne ,que les bruits nocturnes s'éteignent et que les bruits diurnes n'ont pas démarré ,nul chant de grillon ,nul chant d'oiseau ,seul le silence...ce moment déconnecté de tout ,comme si le temps avait arrêté sa course ,un moment court mais qui semble durer ,un moment pendant lequel on se sent envahi par une grande paix intérieure ,un moment suspendu comme une seconde d'éternité au milieu du cosmos...

     respect

    A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse
    Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse.
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    Message par Cubana 2010-09-17, 04:33

    Merci beaucoup  respect Il s'agit d'une expérience que j'ai vécu une fois dans ma vie ,ce n'était pas facile de mettre des mots correspondant à ce que j'ai ressenti à ce moment précis. Ben Voilà
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    Message par Lyncx 2011-03-25, 00:00

    Chère amie,

    Je me suis réveillé ce matin en sursaut, comme électrifié par quelque grille infranchissable. Je me souviens avoir rêvé, et dans ce rêve, je me trouvais au pied d'un mur haut comme la terre, un mur dont je ne voyais pas l'horizon dans l'infini du ciel bleu. Je sautai alors désespérément pour en mesurer, à défaut de la franchir, la hauteur; mais chacun de mes sauts ne faisait qu'agrandir encore mon désespoir de voir ce qui se trouvait de l'autre côté.

    Je me souviens avoir rêvé aussi, entendre la voix de mon père qui me revenait sans cesse, comme pour compenser les milliers d'occasions manquées qu'il a eues de m'appeler par mon nom. Je l'entends, tel un écho abyssal, prononcer les deux syllabes de mon prénom, encore et encore, sans que je puisse m'expliquer ce besoin que j'ai de l'entendre. Je pense que les rêves, chères amies, ne sont que des transcriptions d'envies fugaces, qui veulent cependant se muer en besoins. Car les rêves ne sont pas des besoins. Je n'ai pas besoin d'entendre mon père m'appeler, ne de voir ses signes d'affection qu'il a cessé de me prodiguer quand je franchis ma septième année. Je n'ai pas besoin de le voir faiblir devant la submersion de l'émotion, ni de le voir changer sa nature pour coller à mes penchants. Cette envie que j'eus de l'entendre, par le fait qu'elle s'est concrétisée en le rêve de la nuit dernière, n'est que l'expression de l'amère répression que je fais de mes envies. Je nie tout ce dont je n'ai pas besoin, au risque de voir ces envies me hanter.

    Je me souviens aussi avoir rêvé, la nuit dernière, d'une poignée de main, ou plutôt, de l'hypno-transposition d'une douleur réelle. Dans ce rêve, ma soeur me présentait un de ses amis, venu à la maison lui rendre visite après son accouchement. Un ami très grand, qui devait bien mesurer 3 mètres de haut, à la musculature impressionnante. Quand il me sourit, et qu'il me serra la main, je ressentis au poignet une douleur tellement intense que je me réveillais tout d'un coup. Et c'est là que je me rendis compte, horrifié, que cette douleur coextensive à mon rêve était une douleur bien réelle, que je ressentais encore dans le poignet. Sans doute avait-elle heurté un mur, l'angle de mon lit en bois, ma table ou autre chose. Et la vérité se révéla à moi: les rêves ne durent jamais, ne s'étendent jamais dans le temps. Les rêves sont instantanés. Les rêves ne sont que des constructions a posteriori de souffrances psychologiques ou physiques, les rêves ne sont jamais des déroulement temporels qui ornent la durée de nos sommeils. Qu'est-ce à dire? C'est après que je me suis fait mal au bras, après que j'ai réprimé mes envies, que mon inconscient a forgé ces rêves, pour les justifier, ou pour me les expliquer par le biais de symbolismes qui lui sont propres. Ce rêves, dès son amorce, avait alors un but que je ne voyais pas. Et ce qui prouve l'instantanéité du rêve, ce qui prouve que le rêve ne dure jamais plus que quelques millisecondes est ce fait: je me suis réveillé immédiatement après que je me suis fait mal au poignet. Mon esprit, pendant la fraction de seconde qui a séparé le mal et le réveil, a eu le temps de mettre en place toute la logique de justification dont je me souvenais encore après m'être réveillé.

    Je me suis réveillé trois fois, cette nuit. Et à trois reprises, c'était ton visage qui me revenait, et qui me berçait encore vers le sommeil.
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    Message par negger bi 2011-03-25, 02:37

    Fut le 11 novembre que tu etais parti laissant un vide dans ma vie et j'ai as eu la chance de te connaitre assane tu es parti sitôt que seul les sentiments d'un Pere me manque maman a sue remplir toutes les conditions que lui imposer la vie je me demandais toujours qui tu devais être quoi ressemblais tu on me dis que tu étais bon gentil merveilleux et ces mots je les ignores de toi parsque je ne tai jamais connu il me manque Dans la vie les sentiments d'un qui aurais pu changer une petite chose dans ma vie qui aujourd'hui me manque j'aurais aimer te connaitre pour t'entendre me gonder ou me donner des conseils ou mapporter des cadeaux en rentrant de boulot me souhaiter un joyeux anniversaire mais jignore tout cela d'un Pere ton absence a laisser un grand vide dans ma vie et je n'ai aucun souvenir de toi mais j'espère de tout cœur la ou tu es et que pendant que je dors la nuit tu viens me voir pour me caressé la tête ou me faire un petit bise sur la joue et j'espère la ou tu es tu es fière de ce que je fais ce que jaccomplie ou ce que je suis devenu mais dis toi que tu sera toujours fiere de moi parsque tout ce que jentreprendrai je verrais ton image dessus car celle ci me donne courage et honneur je me rappelle un jour au front dans les plus profond forêt de la casamance alors que les affrontements étaient rudes les rebelles nous encercler de partout ou tu entends les klashnikov de tout sens moi dans mon trou avec mon M16 je pensais fort a toi ce qui me donnais plus de courage de me battre encore et encore et encore jusqu'à qu'on s'en sort et que arrive les renforts je me disais que tu étais la a mes cotés et tu me protegais des balles
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    Message par Cubana 2011-03-25, 04:11

    Crying or Very sad Très émouvant.
    Les rêves sont parfois.... troublants Lynx ,il arrive qu'ils provoquent des interrogations profondes ,qu'ils donnent des réponses ,qu'ils effraient ,qu'ils terrorisent ,qu'ils soulagent ,qu'ils apportent une forme de béatitude.Il arrive aussi qu'ils servent de "sas" ,de paserelle en quelque sorte ,de porte.
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    Message par Sugar 2011-03-25, 07:16

    Je viens de voir ce topic, j'adooore feu Seulement, je n'oserai jamais y poster mes "lettres" Embarassed
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    Message par Douceur 2011-03-26, 19:52

    jesper avoir un peu de temp pour y envoyer une de mes lettre bientot tro émouven les gars [LETTRES] Épîtres Diasporoises  Smilies5
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    Message par Lyncx 2011-05-02, 04:25

    Chère mère,

    Comment te portes-tu, depuis que j'ai quitté -- de nouveau -- ton giron pour d'autres rêves, d'autres quiétudes? Tu ne déprimes pas, j'ose espérer? Le souvenir que j'ai de ton visage, le jour de mon second départ, trahissait cette émotion indéfinissable des mères qui ont la sensation de perdre quelque chose une seconde fois, définitivement. Tu semblais satisfaite, de la satisfaction de celles dont le devoir qui lestait leurs épaules a été accompli, sans fautes et sans bavures. Mais à revoir ton visage de plus près, cette satisfaction était plus une souffrance qu'un soulagement. Tu aurais préféré que mon retour auprès de toi fût définitif, comme moi, et porter encore une charge qui, je le sais, nous remplissait tous les deux d'une félicité que notre complicité et notre proximité faisait durer au delà du légitime. Toi comme moi savions, au moment de mon départ, que notre adieu serait probablement le dernier réel adieu d'innocence et de sérénité. Toi comme moi savions, quand nos yeux se sont croisés une dernière fois avant que le véhicule paternel ne m'arrachât à nos étreintes élancées, que ce regard n'aurait plus son pareil. Tes deux mains que tu gardais croisées dans ton dos en disaient assez long sur l'attente que tu étais prête à recommencer, encore et encore, même si tu te doutais que cette attente était désormais une impasse.

    Les rêves qui m'animaient quand je suis revenu n'avaient cependant rien de mièvre. Quand je suis revenu parmi vous, auprès de tes mains balsamiques et de tes yeux enfiévrés par le don inconditionnel que tu faisais de toi, ce n'étais pas dans l'optique de vous quitter de nouveau. Personne, du reste, ne peut te quitter sans ressentir au fond de lui ce tiraillement de celui qui se sent coupable sans connaitre la nature de son forfait. Mais, en l’occurrence, mon forfait a été, quand je suis revenu, d'avoir acquis au cours de mes années d’éloignement trop de certitudes, d'avoir cédé à trop de facilités d'esprit. Ces dernières m'ont emmuré dans une innocence qui s'opposait à toute confrontation avec la réalité que vous viviez. Cette innocence naïve, dont je me doutais de l'inefficacité, mais dont j'étais certain de la bonne foi, était une barrière entre mon action et le monde que j'ai quitté sans réellement le connaitre. Maintenant que mon esprit a mûri, mais qu'il a mûri loin de la branche-mère de ses racines, maintenant que j'ai vu et me suis comparé à mes frères qui ont mûri près de toi, je constate avec amertume que je 'aurais jamais dû prendre le large sans m'assurer de connaître la nature véritable de ce que je quittais.

    Je ne m'étonnai pas de subir alors, quelques jours après mon retour en cette terre qui ne m'a pas vu mûrir, la désillusion qui guette les gens de notre espèce. Ce n'était pas une déception face à un pays ingrat, qui ne me donnait pas ce que j'espérais de lui, ni une déception face à un peuple qui ne m'acceptait pas tel que j'aurais voulu qu'il m'accepte. C'était plutôt une désillusion face à mon inadaptation, à mon impatience, à mes illusions utopiques. Je me croyais enraciné, je constatai avec d'atroces déchirures mon irrattrapable perte de repères.

    Et il parut alors évident que je devais m'en aller. Il fallait que je m'en retourne à la chiendent, si je voulais continuer à espérer être l'homme que je rêvais d'être. Il fallait que j'aille achever l'inculturation qui a commencé avant même que je ne te quitte, si je voulais espérer te retrouver un jour, vous retrouver tels que j'aurais dû vous retrouver quand j'étais revenu, vous voir entiers et non-déformés. Il n'y a que la perte totale qui peut donner naissance à la prise de conscience. Dans mon cas, seul un arrachement définitif pouvait me rendre mon authenticité: un vision débarrassée d'illusions, de préjugés et de rêves sans autre consistance que celle que l'éloignement donne à notre vision. Je renonçait donc à renouer avec mes racines.

    Dès lors, une énorme lassitude me prit. Un désintéressement total des choses qui me révoltaient avant m'a envahi depuis que mon pied a de nouveau foulé, à regret, cette terre dont tout m'est hostile. Les quolibets ne m'atteignent plus, les racismes, et même les insultes. Les personnes devant lesquels je criais ma condition et ma différence m'indiffèrent, désormais: leurs lances s'émoussent sur mon indéfinissable carapace. Quand j'entendais un avis qui niait ou blessait ma condition, toujours je m'efface, et, toujours, retourne à ma torpeur. J'aurais pu le tuer, à ce moment là. J'aurai pu me lever, grand devant lui, l'affronter de toute ma stature, et abattre mon poing sur sa nuque méprisable. J'aurais pu, de toute la force de mes poumons, crier cette douleur que je ressentais, ce mal qui réclamais vengeance. J'aurais pu être bestial et juste, être le brutal redresseur de tort que je fantasmais d'être. Mais je me taisais, toujours emmuré dans ce silence que certains qualifiaient de lâche. Je reculais, et laissais passer ces piques. Toujours, je laissais passer un affront de plus. Non parceque je n'avais pas le pouvoir de répliquer, ni que je trouvais une quelconque sagesse dans l'abdication. Non, simplement par passivité, et par exécration de toute violence inutile. Une lassitude générale, face à la futilité de nos gesticulations m'envahissait. Une lassitude atroce, qui n'avait d'égal que les injustices qu'elle laissait passer.

    D'où me venait cette lassitude? Certainement dans le désespoir de tout retour. Certainement dans l'abdication de mon courage face à l'adversité que j'aurais dû, quand j’étais auprès de toi, affronter à tout prix. Certainement, mère, dans ma conscience de l'inutilité et de l'impasse de mes efforts, désormais.

    La valeur, cependant, qu'ont toujours les rêves et les projets que j'ai pour ma terre n'a pas changé. Je me refuse à perdre cette mièvrerie qui les caractérise, sous peine d'en perdre toute l'humanité. Je suis maintenant l'exilé qui caresse encore les illusions de son retour et qui, de temps en autre, jette un oeil derrière lui à la recherche d'un signe que lui enverrait sa terre. Je suis parti, certes. Mais ce que je suis devenu, là où je suis, n'est plus qu'ombre errant, à la recherche d'une monture pour le ramener à sa lumière perdue.

    Continue à m'attendre, mère. Je reviendrai bientôt, je te le promets.

    Ton fils qui t'aime.


    Dernière édition par Lyncx le 2011-05-02, 04:38, édité 1 fois
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    Message par Blackette 2011-05-02, 04:29

    tres touchant Lyncx Embarassed  respect
    perspicace et emouvant meme


    Dernière édition par Blackette le 2011-05-02, 04:41, édité 1 fois
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    Message par Saabajoe 2011-05-02, 04:38

    Damn man! dats powerful man... dat hit me hard!
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    Message par Lyncx 2011-05-02, 05:51

    Thanks, bro Wink But we both know yours are way stronger...
    Merci, Blackette. Je ne t'ai pas encore plagiée, mais ça ne saurait tarder Wink
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    Message par Blackette 2011-05-02, 06:02

    ok Lyncx!!pa ni pwoblem Wink
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    Message par Lyncx 2012-03-26, 09:02

    Lettre aux amis - Lettres premières.

    Chers amis au front,

    Vous devez sûrement vous demander ce qui me motive aujourd'hui, après un long silence, à vous adresser une lettre qui ne pourra ni vous soulager, ni me remplir de réconfort. Vous devez, dans les tranchées qui vous servent à la fois de tentes et de tombeaux, vous interroger, la mine noire et les mains calleuses, sur ce petit papier propre et blanc qu'aucun grain de la terre qui couvre vos visages n'altère. Je vous imagine, hébétés de sommeil, de peur et de suie, tenant cette fragile petite existence qui porte en elle la bouche si éloignée de votre frère, sans que vos regards n'accusassent même le plus petit rictus de reproche. Car pour vous, cette lettre est un trophée que la barbarie a encore cédé au parfum exquis de nos salons cossus, à la mousseline légère des robes d'été ou au chemins propres de nos villages déserts. Pour vous, cette lettre est un vestige, qu'il faut — vite — protéger des balles ennemies, comme une mère protègerait son enfant né sur un radeau, au milieu du naufrage. Oui, mes frères, cette lettre est un naufrage. Elle ne vient que pour vous annoncer le naufrage de tout un monde.

    Ce monde que vous aviez laissé derrière vous, quand vous vous en alliez par les petits chemins de la vertu en conquérir de plus grandes, ce monde-là a été englouti hier sous les trombes du Progrès. Ce monde léger et rieur d'autrefois, ce monde qui recelait encore des terres vierges de baïonnettes, de pièces de monnaie et de fragrances artificielles, est aujourd'hui un champ de somptueux détritus et d'ossements. Un jour, ses habitants se sont mis en tête d'aller, par de fragiles et longues échelles, conquérir les étoiles et y élever leur descendance. Derrière eux, ne restaient plus que des vieillards courbés, le front épais, qui promenaient leurs sagesses piétinées sur les ruines de champs déserts. Et quand ils s'en allèrent, quand plus aucune femme ne restait sur terre, commença l'errance des derniers d'entre nous restés pleurer ce monde.
    Nous nous levions le matin, sous une grisaille sans nom, et nous errions sur les places qui peuplaient nos souvenirs d'enfance. Nous sentions la fin approcher, comme un daim blessé qui sent, dans le taillis, le pas angoissant du chasseur. Et du matin à la nuit, nous nous interrogions sur notre histoire et sur notre ultime déraison.

    Nous ressassions, les jours où le jais était plus épais qu'ombres nocturnes, nos erreurs qu'alors il n'était plus utile de regretter.
    Nous ressassions, un léger foulard sur le front et un rouet autour des chevilles, les temps passés des dictatures que nous imposâmes aux êtres, pour leur bien. Nous nous souvenions de la laisse dont nous les pendions, les traînant vers l'affreux autel des frénésies de l'immédiate jouissance, où hagards et angoissés ils nous regardaient de cet oeil curieux qui ne parlait aucun langage (ou dont nous ne comprenions traître vindicte). Nous nous souvenions de ces poils soyeux que nous nous évertuions à lisser, méthodiques dans notre obsession à l'harmonie totalitaire. De leurs yeux aussi, nous nous souvenions, quand nous leur dictions, par un géant tableau à l'aveuglante luminance, comment rire, comment se vêtir, comment jouir, comment, alors même que tout dieu avait été guillotiné, prier dans les recoins infâmes qu'on avait alors aménagés pour les antépénultièmes catharsis. Et quand ces êtres fragiles nous souriaient, édentés de joie jaunâtre, nous les gratifiions d'un fugace regard bleu, perdu au loin, cherchant encore dans l'irréel indigo des derniers soirs un signe qui nous dît que ceci n'était pas vain. A chaque victoire du diktat que nous avions déployé sur l'univers de l'être, nous cherchions, angoissés, doutant d'avoir encore précipité une catastrophe, un infime signe, une parole vraie, un frisson. Nous n'en étions jamais sûrs, mais le silence qui nous revenait de nos actes nous suggérait incidemment que nous avions fait quelque chose d'effroyablement irréversible.
    Et le lendemain, nous recommencions. Avec un autre lot d'êtres. Une autre barbarie désignée. Un autre cercle que l'Acception voulait toujours, jusqu'au dernier souffle de son abyssal besoin de jouissance, civiliser-concasser.

    Nous nous rappelions alors très-nettement ce besoin. Cette addiction malsaine en le vertige continuel. Cette chiendent, ce terrassement. Chers amis au front, les prémices de ce besoin étaient déjà lovés dans le coeur de ce cloaque, quand nous y avons débarqué. Nous ne l'y avons ni implanté, ni attisé, ce besoin n'avait, pour vivre, besoin que d'un peu d'indifférence, que d'apathie face à l'inéluctabilité de ses serres. ce besoin était total, insidieux, affectant des atours clairs afin de vendre sa sombre camelote.
    Certes, nous nous en souvenions.

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