Ils sont venus, un jour d'orage, suintant de pluie;
Rampant sous l'ombre des arbres, se faufilant dans les ténèbres de la nuit.
Ils sont venus, dans nos villages, délivrer leur funeste message,
Message d'apocalypse et de carnage, qui déclencha les rouages de l'engrenage.
La succesion irréversible des nuits de misère et de terreur,
La marche imperturbable de l'histoire jonchée de guerres et de pleurs,
Ebranle, sous son talon d'acier, le sein de la terre,
Sous lequel, éperdus de désespoir, les fils du Soleil pleurent leur Mère.
Elle s'en est allée, emportée par la tempête venue du Nord,
Elle s'en est allée, broyée sous l'étreinte glaciale des chenilles de mort,
Enterrée sous la cendre palpitante des plumes de la liberté assassinée,
Dont le sang s'évapore en volutes vers les nues, parfum d'une fleur fanée.
Et, enchaînés dans la caverne tortueuse et putride de la caravelle,
Ils voguent, leurs cauchemars stridents bercés par le grincement de la vielle;
Par le glas lugubre des veillées, des contes au feu de bois,
Par le roulement sourd du sabbat des mânes errants, là-bas.
Et leurs sanglots s'entrechoquent, dans le rythme infernal du roulis;
Et leurs sueurs s'entassent, comme, au fond d'une bouteille, la lie.
Et leurs larmes de sang coulent sur la solitude immense de leurs champs,
Et leurs saignées de lave viennent arroser la plénitude des moissons d'Occident.
Courbés sous les soleils pâles, soleils à la chaleur de glace,
Ils labourent les sillons de leurs ongles noircis de terre et de crasse.
Marchant sous le feu des fouets de vipères, fouets incrustés de pics de sel,
Ils entonnent le chant atrophié de la liberté, dansant sous la puissance du gospel.
Et au-delà de la Terre, de l'Atmosphère, dans l'Univers sombre et froid,
Retentit le choeur des loups, choeur qui annonce la venue de l'Enfant-Roi.
Ecoutez le sourd bruissement des feuilles qui tombent dans la nuit noire;
Ecoutez le crépitement sec du feu qui frémit dans l'or aveuglant du soir;
Ecoutez le lourd feulement du tigre dans les ténèbres impénétrables du ghetto;
Et ecoutez le chant d'espoir des prisonniers emmurés dans la fixité de leurs étaux.
Ce chant dit qu'un jour, là bas, sur la terre calcinée des hommes,
Quand la fumée âcre du Renouveau s'échappera des toîts de chaume,
Quand surgira de l'horizon embrasé l'Atlante noir de glaise,
Quand tomberont des cieux la pluie implacable des braises,
Quand, s'extirpant du sein de leurs nourrices, les phéniges s'envoleront,
Quand se dressera sur le sommet illuminé la crinière démesurée du roi lion,
Quand le vent soufflera, vent d'orage, sur les plaines du Sahara,
Et que la Mousson fertilisera la virginité immaculée des haras,
Et que le ciel noir déversera sur la terre son torrent de feu et de grêle,
Et que la tempête brisera, de son étreinte farouche, leurs donjons et tourelles;
Quand la tornade balaiera leurs ponts, comme la faux balaie les moissons,
Et que dans le gouffre béant du Maëlstrom, leurs espoirs s'engouffreront,
Quand le tsunami rasera, de son souffle de géhenne, leurs statues pérennes,
Et quand, enfin, le séisme disloquera l'Ancien Monde et en brisera les chaînes;
Alors, ce jour là, ils sauront que les oeufs qu'ils ont empêché d'éclore,
Les bêtes de somme qu'ils avaient forcées a accepter leur sort,
Le feu crépitant de vie qu'ils avaient enfoui sous le sable fin,
Le cyclone qu'ils avaient figé dans la neige fragile comme du lin,
Ce colosse, ce Titan, venait de se dresser et avait masqué la lumière du ciel.
Ils sauront que le serf-né dont ils avaient coupé la langue au goût de fiel,
Que les chants d'espoir qui s'étaient courbés sous les siècles de tortures au fouet,
Que la révolte silencieuse et noire dons les bras avaient été noués,
Que les nuages lourds d'acide dont les vannes avaient été enchaînées,
Ce molosse, ce dragon, venait de se réveiller. Et allait se déchaîner.