Ramadan : «Soukarou koor», une pratique de plus en plus salée(Le Soleil)
Le Ramadan est l’occasion de donner le "soukarou koor". A l’origine un simple acte de bienfaisance et de solidarité, cette pratique est devenue, de nos jours, un lourd fardeau pour bon nombre de Sénégalais et surtout, de Sénégalaises.
Au Sénégal, la pratique de l’Islam est fortement édulcorée et imprégnée de pratiques païennes. Faits graves, la majorité des Sénégalais considèrent ces pratiques-là comme une recommandation de l’Islam. C’est dans ce cadre qu’il faut mettre la pratique du « yeelu maam » ou du « yeelu ndieuké » lors de la fête de la Tabaski à l’occasion de laquelle une partie du mouton est donnée à la grand-mère ou à la sœur du mari et surtout la pratique du « soukarou koor » qui, aujourd’hui, empêche beaucoup de gens de dormir.
A l’origine, selon Coumba Thiam, une septuagénaire, le « soukarou koor » était tout juste un acte de bienfaisance, de solidarité qu’on faisait à l’endroit des plus démunis à l’occasion du mois de Ramadan pour leur permettre de passer un bon Ramadan.
Le sucre étant l’élément le plus utilisé durant cette période de privation, les gens préféraient le donner comme cadeau. En effet, à l’époque, dit cette dame, les bouillis de mil constituaient les principaux aliments de base durant la période du mois de Ramadan.
Un engrenage infernal
À la longue, ce qui n’était qu’un acte de solidarité est devenu tout simplement une obligation morale à l’endroit des parents mais surtout à l‘endroit de la belle-famille. Un acte qui, s’il n’est pas accompli, peut avoir des conséquences fâcheuses. Pour la plupart des adeptes du « soukarou koor », c’est une façon de raffermir les liens familiaux plus qu’autre chose. Et si auparavant, la pratique du « soukarou koor » était surtout le fait des femmes qui faisaient ainsi des présents à leur belle-famille, dans le dessein de consolider leur mariage, aujourd’hui force est de constater que les hommes ne sont pas en reste.
Ce qui fait bizarre selon Ibrahima Keïta, c’est que : « quand on le fait une première fois, on est obligé de le faire pour toujours. Cela devient un fardeau. Je l’ai appris à mes dépens », se lamente cet enseignant qui dit avoir déjà prévu de défalquer sur son salaire de ce mois de quoi offrir, en guise de sukarou koor, à sa belle-famille vivant à Tambacounda.
Alassane Seck Guèye, journaliste culturel dans un hebdo de la place, lui, se creuse déjà la tête pour trouver les 30 mille francs qui lui sont nécessaires pour s’acquitter « de ce devoir », comme chaque année depuis qu’il s’est marié.
Demba Sy également, commerçant, n’y échappe plus : « chaque année, en plus de mes parents et de ma belle-famille, il y a des gens à qui je donne toujours le «sukaru koor », des parents d’amis à moi, des connaissances dans le quartier, etc. ».
De « sukar », cette pratique n’en a gardé que le nom puisque de nos jours, les gens offre à la place des tissus, de l’argent, des repas copieux, etc. « Je n’ai jamais donné de sucre. Je prépare un copieux repas que j’offre à ma belle-sœur », assure Mme Sow, secrétaire au Cesti. Adji Bâ est de la vieille tradition ; à ce titre, elle ne veut pas déroger à cette «règle » non écrite : « donner le « soukarou koor » est une tradition belle et sympathique à la fois qu’il ne faut pas se priver de faire», estime-t-elle.
Repas copieux, tissus, argent à la place du sucre
Aminta Faye embouche la même trompette en ce posant cette question : «pourquoi renoncer à cette pratique qui est bien ancrée dans nos us et coutumes » ? Et de se justifier : « il n’y a rien de mal à faire des cadeaux aux gens qu’on aime. Au contraire cela permet d’entretenir de très bonnes relations avec eux ».
Cependant, chez Mme Mbengue, agent du Coud, c’est un autre son de cloche : « il ne sert à rien d’essayer d’acheter l’affection ou le soutien de la belle-famille ou de quiconque en lui donnant des présents. Quand on fait des cadeaux, cela doit être spontané et on ne doit rien attendre en retour ».
Ce point de vue n’est pas loin de cette dame qui a préféré garder l’anonymat : « le « soukarou koor » n’est ni un devoir ni un droit. C’est juste une de nos nombreuses pratiques au Sénégal et qui ne reposent sur rien, sur aucun fondement. Elle est mise à profit par certaines personnes pour soutirer de l’argent aux pauvres gens », tonne-t-elle.
Seynabou Niang, élève-enseignante à la Fastef (Faculté des sciences et techniques de l’éducation et de la formation) fait une analyse pointilleuse de la question. Pour elle, le « soukarou koor » est une forme de « téranga » envers sa belle-famille. En tant que telle, cela se donne quand on en a les moyens et pas forcément durant le Ramadan ou la Tabaski. Elle confie que quand elle s’est mariée, elle a tenu à marquer son territoire très tôt : « dès le début de mon mariage, je me suis refusée de l’ériger en règle, car il ne faut pas se compliquer la vie avec toutes ces pratiques sociales. Si la belle-famille ne comprend pas cela, dites-vous bien que ce sont des matérialistes tout court ».
Et cette dame de donner cette leçon de vie : « celui qui te tient par l’argent aujourd’hui te lâchera demain si tu n’as plus les moyens ».
Une pratique aux antipodes de la religion
Mme Sow, elle, ne connaît pas cette pression de la belle-famille : « j’ai la chance d’avoir une belle-famille très pieuse qui ne s’attarde pas sur ces considérations qui n’ont aucun fondement religieux. Pour vous dire, ma belle-sœur m’a interdit de lui offrir du « soukarou koor ».
N’empêche, elle compte lui offrir un bon repas cette année après être restée deux ans sans l’avoir fait. Sur le plan religieux, il n’est pas interdit de faire des cadeaux ; il serait même recommandé par le prophète Mouhamad (Psl) dans un hadith.
Cependant, ce qui est déploré, c’est le gaspillage érigé en règle au Sénégal lorsqu’on fait des cadeaux à quelqu’un. « On fait tout au Sénégal sauf ce que l’Islam nous exige de faire. Nous prenons nos folies pour des préceptes de l’Islam, nos désirs pour des obligations religieuses », note Ousmane Dièye, un Ibadou. Et de fustiger le « soukarou koor » tel que le pratiquent aujourd’hui la plupart des Sénégalais : « loin d’être une œuvre de charité ou de bienfaisance comme dans le temps, le « soukarou koor » est devenu un moyen surtout pour les femmes de s’attirer les faveurs de la belle-famille. La meilleure des façons de garder son couple solide, ce n’est pas de donner des cadeaux à tout-va, mais c’est d’avoir un bon comportement, être exemplaire dans son ménage.
Alors arrêtons nos excès et Dieu nous facilitera la tâche».
Elhadji Ibrahima THIAM (Stagiaire)