Car s'il est vrai que la littérature de cet écrivain l'un des plus extraordinaires de sa génération et sans doute l'un des plus grands écrivains et cinéastes sénégalais, est une littérature de combat et de révolte de la masse et pour la masse, aujourd'hui plus que jamais nous avons besoin de rouvrir ou de découvrir l’ouvrage deSembène pour ceux qui ne le connaissent pas encore.
Relisons cet écrivain qui avec acuité a su construire à partir de la grève des ouvriers dans le milieu des années 40 sur les lignes de chemins de fer Dakar-Niger, un formidable roman social, un roman de lutte et de leçon.
Rien ne semble avoir été laissé au hasard dans cette grande fresque qui traverse le paysage sec et inhospitalier du soudan et du Sénégal de l'époque.
Toutes les couches sociales de l'époque coloniale qui cohabitaient ont été pris dans le mouvement d'une Afrique qui peinait à se réveiller à la veille des indépendances.
Des colons aux ménagères en passant par les élites façonnées par l'école coloniale et dont nous avons aujourd'hui encore quelques touffes folles organisées en bourgeoisie locale, on assiste à la souffrance du peuple, celui des quartiers bidonvilles, des bords de rail, des illettrés, des cheminots et de leurs femmes, des mendiants et des enfants.
Un peuple suant, soufflant, mourrant de faim, perclus de douleur, blessé dans sa chair, mais des hommes et des femmes dignes et véridiques qui auront su triompher de la petite poignée qui voulut les écraser.
Dans le roman de Sembène, l'aveugle est une lanterne et le handicap n'enterre pas le combat pour la justice et le respect des hommes.
Les femmes y sont des rôles qui débordent la frontière familiale et défoncent le carcan des coutumes qui veulent qu'elles se taisent et obéissent. Mais la relation de Sembène et des femmes d'Afrique on la connaît, la place qu'il leur dédie à chaque fois dans ses ouvrages aussi.
En dehors des personnages inoubliables qui a l'image Bakayoko, de Mariama, de Penda, de fa Keïta ou encore de la petite Ad'idjibid'ji apprennent, luttent et parfois donnent des leçons d'humilité, de ténacité et de vergogne (diom en wolof), c'est un peuple exemplaire d'hommes, de femmes et d'enfants qui se sont donnés la main pour exiger leurs droits sans haine et sans céder.
Chez Sembène c'est l'homme du commun qui lutte pour rétablir la justice que pourfend l'élite, le colon ou le politicien. Le héros c'est le peuple, c'est l'honnête homme qui a des convictions et qui ne se défausse pas.
Le Sénégal de Sembène, celui d'hommes intègres est il mort?
Devrions nous pas relire l'écrivain et cinéaste à pipe décrié par nos hommes politiques à qui le discours de cet écrivain ainsi que sa caméra a toujours dérangé, pour recevoir les leçons d'humilité et de persévérance qui nous manquent aujourd'hui et qui poste notre pays à la porte du chaos si familier à l'Afrique et aux africains que nous sommes?
Sembène n'est pas un visionnaire, c'est un homme du passé mais aussi et peu étonnant, un homme du présent, un cinéaste moderne.
Les bouts de bois de dieu ont été publié en 1960, Sembène fait dire à l'un de ses personnages:
"Nous ne sommes pas capable de fabriquer le moindre objet utile même pas une aiguille..."
(Page 318)
Plus de quarante ans après qu'est ce qui a changé?