(Première Partie)
- Hé apprenti fegeul car bi waye boulgnou tardél (apprenti donne le signal on ne veut pas être en retard), cria un client assez agacé de l’attente.
- Way so yakamté gua dokh (si tu es pressé tu n’as qu’à marcher), rétorqua Lemzo l’apprenti-car, sans attendre la réplique du client, il s’en alla à la recherche d’autres clients avec son monologue : Grand Yoff, Grand Yoff bagui, bi moy dém en désignant son car rapide qui avait comme destination Grand Yoff un quartier de Dakar.
L’hivernage avait déjà débuté, et ce quartier comme beaucoup d’autres à Dakar n’était pas épargné par les inondations. L’éclairage public n’étant pas satisfaisant, il fallait rentrer avant la tombée de la nuit pour éviter de se faire piéger par les flaques d’eau.
L’hivernage et tous les problèmes qui l’accompagnent, (l’insalubrité, les maladies, les déménagements de certaines familles qui ont été obligées de quitter leur maison à cause de l’eau), étaient le sujet de conversation qui animait le car maintenant. Certains rejetaient la faute sur le gouvernement qui devrait éradiquer ces problèmes, d’autres soutenaient la responsabilité des habitants qui bouchaient les canaux d’évacuations des eaux hivernales.
Au Sénégal c’est toujours la faute de l’autre et pourtant les responsabilités sont partagées. Certes, la politique de nettoiement de la ville fait défaut, mais les populations devraient changer leur comportement à l’égard des biens publics, la propreté commence par soi-même.
- « Doral brique », cria Lemzo en tapotant sur le car. IL venait de donner le signal au chauffeur de partir. Il avait fini par trouver pas mal de clients, certains devaient descendre en route. Le prix du transport n’était pas le même pour les différents arrêts mais c’était mieux que rien, surtout en cette période de vacance où la plupart des gens repartent dans les régions car n’habitant pas Dakar. Le client pouvait se faire rare.
Après avoir décharger tous les clients de Grand Yoff, Modou fit demi tour pour retourner rentrer à la maison. Ils habitaient tous les deux Thiaroye, dans la banlieue. Lemzo pris place sur l’un des bancs et commençait à compter la recette. Quand il eut fini Modou lui demanda si la somme était importante.
- Ah comme d’habitude, ces temps-ci ne sont pas faciles, répondit Lemzo
- Yalla bakhna (Dieu est bon) QU’IL continue de nous donner la possibilité de nous réveiller tout les matins et d’aller au travail Incha Allah tout ira bien.
- Yalnala deg.
Lemzo finit de départager les parts, la plus grande était pour le chauffeur, une autre partie pour la maintenance du car et l’autre lui revenait. Ce n’était pas beaucoup mais il s’en contentait. Côté argent Modou était satisfait de lui, il lui faisait confiance contrairement à son ancien apprenti qui n’était pas très réglo, Lemzo faisait tout dans les règles, il ne prenait que ce qui lui revenait de droit. Nul ne pouvait l’accuser d’avoir pris l’argent d’un autre mais gare au client qui refuserait de lui payer le prix convenu.
Modou gara l’automobile devant sa maison et invita Lemzo à entrer. Une fois à l’intérieur, ils firent le point et se mirent ainsi d’accord sur une poignée de main comme tous les jours. Maintenant Lemzo devait de rentrer chez lui. Il avait du chemin à faire, sa maison était assez éloignée de celle de Modou. IL vivait toujours chez ses grands parents avec sa mère, Anna. Elle était mariée à un polygame qui vivait dans une autre maison avec ses deux épouses. Anna était la troisième, elle avait rejoint le domicile conjugal mais l’antipathie que lui manifestaient les autres femmes l’avait poussée à retourner chez ses parents avec l’accord de ses derniers et aussi de son mari, Pape Mor, qui allait l’y rejoindre à chaque fois que c’était son tour.
Lemzo n’était pas très fan de son beau père, les seuls mots qu’ils pouvaient échanger étaient les salutations. Et Pape Mor ne s’en plaignait pas. Il ne cherchait pas à être autoritaire avec Lemzo. Celui-ci ne l’aurait jamais accepté et ça risquerait de créer des tensions avec sa mère. Les familles recomposées sont toujours face à ce problème « Domou djitlé dou dom » (l’enfant de l’autre n’est pas notre enfant). Certains de ses enfants peuvent être la cause de séparation. S’ils veulent que vous divorcez de leur parent, ils vous trouveront tous les tares du monde pour se débarrassez de vous.
Lemzo lui n’en avait cure du mariage de sa mère, tout ce qui l’intéressait c’était qu’on lui foute la paix. Il n’avait pas connu son père, quand il était enfant il demandait toujours après lui mais sa mère n’avait jamais pu satisfaire sa curiosité et il avait fini par laisser tomber.
Ce ne fut pas facile de grandir sans père, il avait pratiquement grandi dans la rue. Anna avait démissionné de son rôle de mère. Déjà à l’âge de cinq, il se rebellait contre tout le monde. Ses grands-parents le gâtaient énormément, surtout son grand- père Mame Lamine qui était son homonyme. En fait, Lemzo s'appelait Lamine, mais ses copains le surnommaient ainsi. Les jeunes Sénégalais ont la manie de déformer les prénoms. Souleymane devient Jules, Pape, Papis.
Aucun oncle ou tante n’osait lever la main sur lui. On le laissait faire ce qu’il voulait et il en profitait au maximum. Quand il avait dix ans, il s’était battu avec un autre garçon du quartier et n’avait pas hésité à lui jeter une pierre à la tête. Le père de ce dernier avait violemment battu Lemzo qui n’arrivait plus à tenir debout. Mame lamine en colère, s’en était pris aux mains avec le papa, et ce dernier lui avait rendu un coup assez sévère. L’histoire avait fini dans les mains de la police, Mame lamine avait porté plainte pour coups et blessures mais il avait commis le délit de violation de domicile.
L’affaire devait être portée au tribunal. Les voisins, comme souvent dans ces ca, avaient fini par intervenir pour atténuer la tension, faire retirer les plaintes furent retirées et amener les concernés à se demander pardon.
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Dernière édition par le 2007-05-31, 09:22, édité 2 fois