dédicasse à toutes les mères courages qui élèvent leurs enfants seules ou accompagnées
PERDU DE VUE (Partie 1)
J’ouvris les yeux brusquement. Un moustique s’amusait à chanter dans mes oreilles troublant ainsi mon sommeil. Je me levais du canapé lit et jetais un coup d’œil à l’horloge murale : 04heures et quart. Dans deux heures j’allais commencer à travailler, et je n’en avais aucune envie. J’avais envie de rester sous la couette et ne plus en ressortir, mais ce n’était pas possible. Un coup d’œil au mobilier finit de me rendre triste. Ca se voyait comme le nez au milieu de la figure que c’était de la récup, mais bon l’essentiel c’est que j’avais ou mettre mes fesses.
Je me décidais à me lever, rangeais les couvertures et repliais le canapé lit. Mon inspection pouvait commencer, j’ouvris la première porte, mes princesses Keisha et Kaylane dormaient encore profondément. Je caressais leurs petites têtes, remontaient leurs couvertures et déposaient des petits baisers sur leurs fronts. Elles lui rassemblaient tellement, j’avais l’impression de voir ce salaud à travers elles. Sans que je puisse y faire quelque chose, une larme roula le long de ma joue. « Non, non, Frédérique » m’intimais-je « ne commence pas ta journée par des larmes ».
Je refermais doucement la porte, avant de me diriger vers la deuxième chambre. Mes princes étaient aussi endormis que leurs sœurs. Leurs bras et leurs jambes dépassaient des lits superposés. Je remettais la jambe de Frédéric délicatement. Mon aîné, mon petit homme, il avait à peine 13 ans mais il s’occupait de ses frères et sœurs comme un adulte. Il était tellement responsable, je m’en voulais, il avait grandi trop vite, j’avais l’impression de lui voler son enfance, mais j’avais besoin de lui, sans lui je ne pourrais pas m’en sortir. Je l’embrassais sur la joue.
Je m’abaissais pour remonter les couvertures sur son petit frère, mon petit prince, mon bébé, je n’arrivais pas à m’expliquer comment je pouvais ressentir autant d’amour pour un enfant qui n’était pourtant pas ma chair et mon sang. Nous avons un lien tellement fort que j’en ai peur parfois. Mon petit Caleb, je passais ma main dans ses boucles soyeuses. Les yeux fermés, il plaça sa main sur ma joue
- « Mamoune » chuchota-t-il les yeux encore fermés
Je souriais, même en dormi, il savait que j’étais là. J’embrassais sa petite main.
- Eu t’aime Mamoune
- Je t’aime aussi néné touti, rendors-toi .
Il serra plus fort son doudou contre sa poitrine. Je sortais de la chambre. Ces enfants, étaient tout pour moi, il n’y avait rien que je puisse refuser de faire pour les rendre heureux.
Il fallait que je me dépêche. Je pris une douche rapide et enfilais mes habits pour bosser. Jean pull et basket. Rien de bien sophistiqué, il n’en fallait pas plus pour récurer des toilettes de toute façon. Je préparais le petit déjeuner pour les enfants. Une fois que ce fut fait je sortis de la maison sans bruits, non sans les remettre entre les mains de Dieu.
Mon train, train quotidien pouvais commencer, une fois sortie de l’immeuble je prenais le bus direction la mairie de Montreuil, pour ensuite m’engouffrer dans le métro direction le 17ème arrondissement de paris. Je commençais ma journée par les bureaux d’un cabinet de recrutement. Qui avait bien pu dire que l’aliénation au travail était révolue ! Tu parles, répéter les mêmes gestes à longueur de journée, comment ne pas devenir folle. Le seul avantage c’est que j’étais toute seule, je pouvais chanter à tue tête me trémousser dans les couloirs sans que ca ne dérange personne, même si je devais faire attention au timing. A 7h je faisais une pause :
- Allô mon bébé ca va ?
- Maman je suis plus un bébé répondit Fred
- Même à 55 ans tu resteras mon bébé, donc il vaudrait mieux que tu t’y fasses dès maintenant
- Ok mais évites quand même de m’appeler comme ça en public.
- J’essaierais, mais je ne te promets rien tout le monde est debout ?
- Oui presque, mais les jumelles font encore des siennes, je te les passe parce que je n’en peux plus
J’entendais Keisha et Kaylane se disputer derrière. Elles devenaient de plus en plus infernales.
- Maman, il ne veut pas que je mette mon short rose cria Keisha
- Et il ne veut pas qu’on reste dans la salle de bains renchérit Kaylane
- Il s’acharne sur nous alors que Caleb n’a pas encore pris sa douche et que…
- STOP ! criais-je, ca suffit, Fred c’est l’aîné, je vous ai déjà dit que quand je ne suis pas là c’est lui qui décide alors s’il ne veut pas que vous restiez dans la salle de bains ou que tu mette ton short rose Keisha alors que tu sais très bien qu’il caille dehors , vous l’écoutez sans broncher
- Mais ce n’est pas juste Maman pleurnicha Kaylane
- Mais la vie est injuste, ma fille, plus vite tu auras compris ca mieux ca sera repasse moi Fred et soyez sages s’il vous plaît.
Je soupirais.
- Oui
- Bon je leur ai parlé, ca devrait bien se passer
- Oui si tu le dis
- Allez Fred, sois plus enthousiaste
- J’essaie, mais c’est dur man
- Je sais mais c’est encore plus dur pour moi ici bébé, j’ai besoin de toi bonhomme
- Je sais, je vais y aller, merci pour les crêpes
- De rien amour, passe moi mon petit bébé s’il te plaît
- Hum, je croyais être le seul bébé du coin
- T’es pas le seul, mais t’es le premier amour
Je babillais ensuite avec mon Caleb, qui me racontait je ne sais trop quoi sur son doudou. J’adorais ces petits bouts de chou.
Après cette pause, je continuais mon ménage dans les bureaux jusque 11heures, par contre là, pas question de se trémousser au milieu des bureaux. Ensuite j’enchainais à Neuilly sur seine, faire le ménage chez une mamie bourgeoise. Elle me tapait sur les nerfs, le genre de vieille conformiste, qui pensait que tous les noirs, moi inclue, étaient des personnes incultes. Je me souviens de mon premier jour chez elle. Je venais de commencer à faire les poussières quand elle avait déboulé comme une furie :
- Vous pas soulever bibelots, ça très fragile, ça très cher !
Je m’étais retenue de ne pas éclater de rire. Elle avait tellement l’air ridicule. Je m’étais contentée de hocher la tête pour l’entendre répliquer :
« encore une qui ne comprendra rien à ce que je dirais. » Si je m’étais écoutée je l’aurais giflée et me serais cassée, mais j’avais trop besoin d’argent…
Midi, il fallait courir, rentrer à la maison, préparer le déjeuner des enfants qui n’allait pas tarder à rentrer de l’école. Une fois à la maison, je préparais le repas. Je faisais toujours en sorte que les repas soient équilibrés. Aujourd’hui c’était Nouilles aux légumes et émincé de poulet, c’était rapide à faire. Quelques minutes plus tard les petits monstres étaient de retour et nous passions à table.
- Kaylane, tu dis les grâces s’il te plaît.
Nous fermions les yeux et nous prenions les mains
« Mon Dieu, merci par ce que tu nous gardes et parce que tu pourvois à nos besoins. Merci, de nous donner à manger, donnes en à ceux qui n’en ont pas. Béni maman, Keisha, Fred, Cal et moi, béni aussi papa où qu’il soit… »
Les enfants étaient déjà repartis, le ménage et la vaisselle était faits, j’avais enfin quelques heures devant moi pour me reposer. Je m’étalais sur le canapé en repensant à la prière de Kaylane : « bénis aussi papa où qu’il soit… ». Où ce lâche pouvait-il bien se cacher ? Surement sur une plage de sable fin, à siroter des cocktails avec des pétasses, pendant que je me battais pour ramener à manger sur la table tous les jours pensais-je. Comment avais-je pu autant me tromper sur lui.
Il m’avait paru tellement sincère. Les souvenirs de notre première rencontre me revinrent en mémoire. J’étais en dernière année d’études à la recherche d’un stage pour valider mon diplôme d’interprète et il était à la recherche d’une secrétaire trilingue pour son entreprise familiale. Une société spécialisée dans l’import export. Il m’avait fait la cour discrètement au départ, pour moi il était hors de question de sortir avec lui, d’abord parce que c’était mon patron, en plus c’était ma dernière année, je pensais de plus en plus à rentrer au Sénégal, rejoindre ma famille. Mais j’avais fini par craquer, il était tellement prévenant, tellement galant et incroyablement sexy. Tout était allé très vite, il avait demandé ma main et j’avais accepté.
Il m’avait rendue accro, je me suis retrouvée à paniquer parce qu’il ne m’avait pas appelée de la journée. Il m’avait ensuite présenté à sa famille. Son père m’avait tout de suite chaleureusement accueillie, mais sa mère, cette mégère m’avait pris en horreur dès le départ. Elle m’avait tout de suite détesté, elle me voyait comme une « africaine sauvage qui allait mettre le grappin sur leur fortune».
C’étaient les mots qu’elle avait employé devant moi quand Mike lui avait annoncé nos fiançailles. Pourtant c’était une antillaise, une antillaise bien noire, mais apparemment, le fait qu’elle soit née sous le soleil des caraïbes la rendait meilleur que moi !Pff elle m’avait mené la vie dure cette folle, et je ne pourrais jamais oublier le sourire de satisfaction quand elle avait appri que son fils nous avait abandonné. « Il a enfin compris que tu n’étais pas une femme pour lui.. »
Comment pouvait-on être aussi cruel. Ce retour en arrière m’avait mentalement épuisée. Je jetais un coup d’œil à l’horloge murale 17H00. Les loulous n’allaient pas tarder à rentrer. Je préparais leur goûter rapidement, ma journée était loin d’être terminée.
Une fois les enfants rentrés, les dernières consignes laissées à Fred, les derniers bisous distribués, je reprenais mon périple des bureaux dans paris. J’en avais marre de cette vie, mais je devais me remotiver, aller de l’avant, des jours meilleurs viendraient surement…
Je regardais ma montre 20h30, j’étais épuisée, heureusement que c’était mon dernier bureau. J’avais bien mérité une petite pause. Je m’installais dans ce qui semblait être le fauteuil du boss. D’après ce que j’avais compris c’était une start-up qui commercialisait des produits bio. Un dossier attira mon attention, c’était apparemment un contrat, rédigé en portugais.
Apparemment ils allaient conclure une vente, avec une société portugaise , il avait tenté de le traduire en français avec un traducteur en ligne ,car les traductions étaient très approximatives, les paragraphes entourés de points d’interrogation, témoignaient de son désarroi. Je décidais de traduire le document, ça me ferait réviser mes bases. Cela faisait presque douze ans que je ne m’étais pas penché sur la traduction de documents techniques, mais je n’avais rien perdu. Je traduisais tous les passages compliqués sur des post-it que je collais sur les paragraphes correspondant et je signais Wonder Woman.
Mon travail me manquait, j’avais bien tenté de postuler dans la même branche après le départ de Mike, mais quand vous avez un trou de 12 ans sur votre cv, vous avez beau expliquer que vous vous êtes occupés de quatre magnifiques enfants, ca ne pardonne pas.
Je rangeais mes affaires, et rentrais finalement à la maison.