UNE FEMME AMOUREUSE
Le sang sur ses mains, son souffle de plus en plus saccadé, ses yeux exorbités… il était sur le point de mourir. Pourtant tout avait si bien commencé…
« Femme nue, Femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie
De ta forme qui est beauté… »
Au premier rang, Myriam observait Mr Diallo, le nouveau professeur de Français. Mr Ndiaye avait du partir brusquement au beau milieu de l’année, ce qui avait le don de la déstabiliser. Le français avait toujours été sa matière préférée depuis l’enfance. Elle se souvenait encore de la première fois où elle avait pu enfin lire elle-même le livre illustré que sa mère lui lisait chaque soir. Le fait de pouvoir identifier chaque mot, de les comprendre lui avait procuré une sensation qu’elle n’avait jamais pu décrire jusqu’ici. En effet, son amour pour cette langue datait, et semblait ne pas pouvoir s’effriter. Quand elle avait été orientée en seconde littéraire après le BFEEM, elle avait été soulagée. Myriam détestait les chiffres, les calculs, les équations. Ils lui donnaient mal à la tête au grand dam de son père qui voyait en elle une scientifique. Elle n’oublierait jamais son regard le jour où elle lui avait annoncé son orientation. Il avait sourit et dit « soit » ! Il disait toujours ça quand il était tellement énervé qu’il ne pouvait rien dire d’autre. La dureté de ce « soit » résonnait encore dans sa tête… Depuis ce jour plus rien n’avait été pareil à la maison, elle avait eu l’impression de ne plus exister pour son père. Ni les récompenses qu’elle recevait lors des concours littéraires auxquels elle participait, ni son poste de rédactrice en chef du journal du lycée, ni ses excellentes notes dans les matières littéraires n’avaient réussi à lui faire regagner l’estime et l’amour de son père. C’était triste…
- Mademoiselle Ba, c’est Senghor qui vous fait pleurer ? lui demanda monsieur Diallo
Myriam, sursauta, elle était tellement perdue dans ses pensées qu’elle ne s’était pas rendu compte qu’elle pleurait. Grâce à Monsieur Diallo, tout le monde pouvait profiter du spectacle à présent. Il fallait qu’elle se ressaisisse.
- Euh, en fait, oui je suis émue devant autant de talent
- Eh bien à l’avenir tentez de contrôler vos émotions de sorte à ne pas perturber mon cours. Est-ce clair ?
- Très clair Monsieur, dit-elle en essuyant ses joues.
Elle entendit les élèves pouffer de rire derrière elle. Elle se sentait bête et vulnérable. Elle remonta ses grosses lunettes qui lui mangeaient le visage. Ce tic nerveux, avait le don de la rassurer, comme un bouton sur lequel elle appuyait pour tout remettre en ordre. La cloche retentit indiquant l’heure de la pause. Les élèves quittèrent aussitôt leurs bancs pour aller dans la cour de récréation. La fameuse cour de récréation, un monde qui paraissait tellement en décalage du sien. Elle avait tenté de s’y intégrer mais n’y arrivait pas. De toute façon, ils la traitaient tous comme si elle était une extra-terrestre. Filles comme garçons, personne ne semblait la comprendre ni l’accepter. Bon c’est vrai elle n’était pas comme les autres, elle n’était pas passionnée par les garçons, la mode, les strass et les paillettes comme toutes les filles, ni par le sport, la mécanique ou d’autres choses qui auraient pu permettre qu’elle se rapproche des garçons, elle était juste à part. Son seul ami jusqu’ici était Mr Ndiaye, c’était son mentor, son modèle, la seule personne en qui elle pouvait avoir confiance, à qui elle pouvait parler sans peine de ses doutes, de ses craintes. La seule personne qui avait su la rassurer durant les moments difficiles. C’était le père qu’elle aurait voulu avoir, un père qui aurait partagé avec elle a passion pour les mots. Elle vivait son départ comme une trahison ; il était parti comme un voleur, sans lui dire au revoir, la laissant seule ave ses peurs, au milieu d’inconnus, de personnes qui la classaient dans la catégorie des « xobés » ou encore des « fayots », qui l’affublaient de sobriquets idiots tels que « serpent à lunettes », « ugly betty » ou encore « Conchita ». Il l’avait abandonné à ce nouveau professeur, qui semblait tout droit sortir de l’école normale supérieure, et ne semblait avoir aucun tact et surtout aucune pédagogie.
- Vous ne sortez pas mademoiselle Ba ?
- Non monsieur, je n’en n’ai pas envie
- Vous savez, ces pauses ne sont pas mises en place pour le plaisir, c’est pour vous permettre de vous évader pendant un certain moment pour mieux vous concentrer par la suite.
- J’estime avoir la concentration qu’il faut et ne pas avoir besoin de sortir pour cela.
- J’ai du mal à vous cerner, j’ai remarqué que vous êtes très hostile envers moi
- Je ne suis pas hostile, je ne vous connais pas c’est tout
- On ne vous demande pas de me connaître, juste de faire preuve d’un peu de bonne volonté, au risque de vous faire exclure définitivement de cette classe.
- Mais je…
- Je ne vous ai pas demandé votre avis…
Lorsque Myriam rentra chez elle, elle se sentait toujours aussi mal. La maison n’avait jamais été synonyme pour elle de havre de paix ou de tout autre cliché auquel l’on pouvait s’attendre. Elle avait tout simplement peur, peur de croiser le regard de son père toujours aussi lourd de reproches, peur d’entendre les réflexions de sa mère sur son physique, sur les efforts qu’elle devait faire pour être plus coquette. Elle se sentait mal à l’aise dans ce corps qui avait décidé de changer sans prévenir, elle avait honte de ce visage ravagé par l’acné, marre de ces cheveux secs et cassants. Une fois dans sa chambre, elle s’infligea ce qu’elle appelait le supplice du miroir, elle se regardait ainsi tous les soirs essayant de se trouver une qualité, une partie de son corps qu’elle arriverait à apprécier, cependant tout ce qu’elle réussissait à voir était une masse informe dénuée de toute beauté, elle s’auto flagellait ainsi jusqu’à ce que les larmes brouillent sa vue…