La mendicité préoccupe depuis des décennies. Tout le monde s’accorde à reconnaitre que c’est un véritable fléau social. Mais jusqu’à présent rien n’est fait ou se fait mal pour l’éradiquer.
Source: Contribution
Nous les voyons tous les jours, parlons en leur nom, décidons pour eux et ce depuis des années sans jamais se soucier d’eux. Eux, ce sont les talibés. Ils font partie de notre décor quotidien, nous les côtoyons à chaque coin de rue et pourtant à nos yeux, ils sont invisibles.
Invisibles, ils le sont, en dépit du fait qu’ils sont victimes d’un des pires fléaux qui menace de déchirer notre tissu social. Combien sont-ils ces jeunes, qui, sous le soleil ardent, en haillons, arpentent les rues à la recherche de victuailles ? Mystère.
Jadis, la mendicité avait pour objectif de parfaire la formation de l’enfant, d’inculquer à ce dernier une « humilité ». En effet, « Le disciple, tant qu’il cherche Dieu ne saurait vivre que de la mendicité, quelle que soit la richesse de ses parents » nous disait on.
De phénomène socioculturel permettant une meilleure formation de l’enfant, la mendicité est devenue un fléau social. Actuellement, nous sommes loin de la vision et de la visée de la mendicité pour l’accomplissement de soi, l’apprentissage de la souffrance et la quête de la ration quotidienne. La réalité est toute autre, les enfants sont victimes d’une forme « d’esclavage moderne » qui ne dit pas son nom. Ces enfants sont exclus du système, et ce sans y entrer auparavant. Dans une certaine mesure, ils ne bénéficient d’aucune éducation, voire très peu puisque durant 365 jours, ils sont à la merci de pseudos marabouts, les exploitant purement et simplement. Ces pseudos marabouts, « gestionnaires » de Daaras n’ont rien à envier au commerçant implanté à « Sandaga » ou à « Tiléne ». Au contraire, eux ne connaissent pas la crise, leurs actions (talibés) sont stables à la bourse régionale des valeurs mobilières. Les subprimes, ils n’en ont cure.
Nous sommes tous coupables d’avoir laissé se développer ce fléau qui tend à se régionaliser sérieusement. Les enfants de la sous région sont convoyés vers Dakar par leur trader de marabout. Dakar est devenue la capitale de la mendicité. Avec la migration nationale et sous régionale des Daaras, la mendicité y atteint des proportions préoccupantes.
Les familles de ces talibés n’ont pas assuré leur rôle de socialisateur. La démission parentale a ainsi favorisé le développement de ce fléau. Malgré tout ce que l’on a dit sur la mendicité, il est courant de voir un parent confier son enfant à un marabout dont il ne connait presque rien et à qui il ne donne rien. Par conséquent, on ne peut s’étonner de la situation telle qu’elle se présente à nos yeux.
Un marabout doit jouir d’une confiance et d’une reconnaissance communautaire avant de se voir confier la lourde charge d’éduquer nos enfants. C’est la seule condition, pour éviter de voir le nombre de talibés mendiants de plus en plus croissant.
Des marabouts, des vrais, il en existe. Ceux là, inculqueront à nos enfants les manières d’être, de penser et d’agir nécessaires pour affronter la vie sans craintes. Seulement, il faut les trouver.
Notre pays, dans le cadre des objectifs du millénaire s’est engagé à réussir le pari de scolariser tous ses fils à l’horizon 2015. Ce qui pourrait s’apparenter à une réelle volonté politique de la part de l’Etat pour, enfin agir sur le système éducatif et permettre à tous les enfants sans distinction aucune de jouir d’un de leurs droits les plus fondamentaux n’est rien d’autre qu’un mirage. Les talibés sont invisibles dans les plans de l’Etat qui fait preuve d’un désengagement notoire. Pour preuve, sur les 40% du budget alloués à l'éducation, seul 0,9% est attribué aux Daaras en dépit de leur importance numérique. La mendicité est la résultante des mauvaises conditions dans lesquelles évoluent les Daaras. La lutte contre la mendicité passe aussi par la prise en charge des Daaras, leur modernisation, l’introduction du trilinguisme, l’adoption d’un curriculum commun. L’Etat, tout comme les parents et les pseudos marabouts n’est pas exempt de toute reproche, car aucune mesure n’est prise pour lutter contre l’ouverture anarchique des Daaras, même si elles existent, elles semblent être inefficaces.
Et, nous ? Combien sommes nous à affirmer que la situation des talibés nous tient à cœur, que nous nous sentons mal pour ces pauvres, et qui par la même occasion nous nous contentons, en guise de « trompe conscience », de leur donner deux ou trois poignées de riz, des bougies ou du cola sous l’injonction du devin charlatan Reuk Reuk Boudian ou Karamoko Guissané.
Il existe des actions qui ont prouvé leur efficacité : c’est le fameux Ndeye Daara ou Baye Daara qui consiste à parrainer un talibé, à assurer son petit déjeuner, son déjeuner et son diner lui évitant d’arpenter les rues pour y rencontrer malheureusement la violence, la drogue, la pédophilie, et au retour peut être de supporter la torture du pseudo-marabout. Pourquoi ces actions ne se développent –elles pas suffisamment ? Peut être est-ce dû à la crise…Mystère.
A chacun de faire sa propre introspection pour agir en conséquence. Car, une chose est sûre, l’heure est grave, nous avons le devoir moral de dénoncer la souffrance de ces talibés, de lutter pour la liberté de ces enfants qui se sont tus à jamais, murés dans le désespoir. Le cas échéant, au tribunal de l’histoire, notre culpabilité sera sans équivoque, car, le crime qui nous fera comparaitre se nommera silence.
KANE Lamine
Sociologue
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]