Allons-y ,c'est partie!
-Vous avez toujours été persuadée ,comme vous l'avez écrit ,que la
maternité resterait un enjeu central du féminisme.Pourquoi?J'ai été élevée par ma mère et mes deux grands-mères qui étaient des
femmes au foyer dont la maternité a comblé la vie.Moi-même je suis
une mère du baby-boom,j'ai bien perçu toute la place que la materni-
té tenait dans ma vie.D'une part ,la jubilation de pouponner. Ensuite,
la grande joie d'aider un petit à grandir, de le voir découvrir le monde.
C'est une chose qu'on a envie de recommencer plusieurs fois. Seule-
ment ,j'avais fait des études supérieures et, à la différence de mes
mère et grands-mères, j'avais le choix et l'envie de faire aussi autre
chose.
-On vous a beaucoup critiquée à ce moment-là, vous avez été taxée de "familialiste".On ne m'a pas critiquée en ces termes, mais on m'a laissé un peu de côté. Quand le féminisme s'est développé, notamment à l'université
où j'étais professeur, j'ai moi-même crée une unité consacrée aux femmes, mais j'ai très vite été supplantée. Non pas écartée, mais ça a
fonctionné de plus en plus sans moi. La raison profonde, c'est que le
féminisme des années 60 et 70 était dans le sillage de Simone de
beauvoir avec un livre tout à fait fondateur ("Le Deuxième Sexe") qui
a converti beaucoup de femmes et qui présentait la maternité comme
une aliénation, la maternité telle qu'elle était vécue au temps du baby-
boom. Et ce n'était pas faux, je sentais bien toute la vérité qu'il y avait
là-dedans. la maternité aliénation ça avait un sens. le vrai combat du
féminisme des anées 60 et 70 a été de permettre aux femmes de ne
pas être mères. Les féministes de ce temps se sont battues pour obte-
nir le droit à la contraception et à l'avortement. moi ,j'étais ringarde.
On me soupçonnait de rester attachée aux idéologies anciennes, à la
famille traditionnelle, d'être incapable de franchir le seuil et de m'ou-
vrir aux réalités contemporaines. Donc, je n'ai pas pu me faire enten-
dre du tout à ce moment-là.
-Mais, en meme temps, vous avez compris et admis que Simone de
Beauvoir voyait aussi dans la maternité une fonction sociale pour pe-
ser sur l'évolution de la société...
Simone de Beauvoir était une femme bien trop intelligente pour limiter
son message à cela. Ses disciples n'ont retenu qu'une partie du pro-
pos. Beauvoir montre aussi que la maternité prend un sens dans
l'exercice de la citoyenneté. Mais Simone de Beauvoir, elle-même en-
chantée d'avoir lancé un mouvement puissant de femmes, n'a pas dé-
fendu la position qui, moi, me paraissait essentielle.
-En quelque sorte, vous avez anticipé ce qui s'est passé vingt ans
après.Anticiper, c'est trop dire; simplement, j'étais assez âgée par rapport à
la génération qui se battait dans les années 60. Je suis née en 1922,
donc, dans les années 60, j'avais dépassé la quarantaine tandis que
les jeunes militantes avaient entre 25 et 30 ans et elles jugeaient
toutes la maternité dans leur relation à leur propre mère. Et mon
grand âge, le fait que j'avais connu des générations heureuses dans
la maternité, font que j'ai pu garder mes positions solidement. Je n'ai
pas anticipé, mais j'ai tenu le passé en réserve. Effectivement, main-
tenant, on peut penser que c'était une anticipation.
Suite demain