UN POLICIER POUR 20.000 HABITANTS, DES MAISONS DE PASSE A GOGO, EN MOYENNE UN BAR TOUS LES 20 METRES… POURQUOI LA TERREUR REGNE A GRAND-YOFF
Article Par D. Mine, Papa S. Kandji, H. Fall, B. Nd. Faye et A. Dou,
Paru le Vendredi 30 Mai 2008
ZOOM SUR GRAND YOFF: Les mille et une facettes d’un quartier chaud
Ce n’est ni Lagos, ni Abidjan, encore moins Harlem ou La Rose des vents à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), mais force est de dire que la côte d’alerte est, aujourd’hui, atteinte. Une des 19 communes d'arrondissement de la ville de Dakar, Grand Yoff est un quartier populaire situé au cœur de la capitale. Avec un nombre croissant de «bars» - Environ une quarantaine de débits de boissons alcoolisées sur une superficie de 8000 mètres carrés. Soit en moyenne 1 bar tous les 20 mètres. Ce qui sous entend un réseau souterrain de prostitution et un terreau fertile pour la violence - c’est donc le plus normalement du monde que ce «Sénégal en miniature» s’est mué, par la force des choses, en un véritable repaire de malfrats. Et là, bonjour les crimes odieux et une certaine impuissance des forces de sécurité à circonscrire ce mal dans des limites acceptables. Comment peut-il d’ailleurs en être autrement si l’on sait que le ratio de sécurité est d’1 policier pour 20.000 habitants ?
Pour vous donner une idée de l’ampleur du malaise que vivent les populations de ce quartier «bidonville aux contours de ville nouvelle», l’Obs y a passé deux journées. Suivez son fil conducteur.
PHOTOGRAPHIE D’UN QUARTIER COSMOPOLITE : Grand-Yoff, coté jardin !
Estimée actuellement à près de 350 000 habitants, pour un taux de croissance annuelle de 2,75%, la population de Grand- Yoff est essentiellement composée de : wolofs (32,7%), Maures (01,3%), Pulaar (23,3%), Manjacks (00,7%), Sérère (14%), Diolas (08%) et autres (20%). L’Obs vous entraîne dans les dédales de cette commune d’arrondissement qui ne renvoie pas toujours une image positive au commun des Dakarois.
L’agglomération de Grand-Yoff a vu le jour vers les années 1965. Le peuplement s’est effectué, à la manière des villages traditionnels, par vagues successives, sans aménagement préalable et sans viabilisation même primaire en voiries et réseaux divers. Cette occupation spontanée s’est poursuivie après l’implantation des cités Hlm Patte d’Oie, Liberté VI et l’implantation du Cices qui viendra s’ajouter au Camp de la Gendarmerie, au Camp pénal, au Camp Leclerc, le Camp Sékou Mballo et l’ex-Cto ( Hôpital Général de Grand-Yoff). Ces équipements vont beaucoup contribuer à la structuration spatiale de Grand-Yoff, comme nouveau pôle de concentration du trop plein du centre ville de Dakar. A la faveur de l’implantation de ces équipements structurants, l’accroissement et la concentration de la population dans ce secteur non loin du centre ville entraîne un étalement spatial de la localité. Ainsi, en 1996 avec l’avènement de la loi sur la décentralisation, cet ensemble très vieux de quartiers a été érigé en Collectivité décentralisée, devenant aujourd’hui la Commune d’Arrondissement de Grand Yoff.
Géographie et localisation
La commune d’arrondissement de Grand-Yoff a été créée par la loi 96/10 du 22-03-1996 qui fixe ses limites ainsi qu’il suit : au nord par l’autoroute menant à l’aéroport Léopold S.Senghor (CA de Patte d’Oie) ; au sud par la route du Front de Terre - Liberté VI (CA de Dieuppeul Derklé et Sicap Liberté) ; à l’Est par l’autoroute Patte d’oie – échangeur de Hann (la CA de Hann Bel Air) et à l’Ouest par la Voie de dégagement nord (Vdn) (la CA de Yoff). Cette commune est rattachée à la Ville de Dakar. Constitué de 56 conseillers, le Conseil municipal dispose d’un Président communément appelé Maire à la tête du bureau municipal. Ce bureau compte 5 adjoints au Maire ainsi que des Présidents de commission. La commune d’arrondissement de Grand Yoff est située dans la partie nord de la ville de Dakar. Ses limites territoriales sont fixées par la loi 96/10 du 22-03-1996 susmentionné. Elle couvre une superficie de 8 km2. Sa population est estimée à 200 000 habitants en 2005. Elle s’étend sur les sols Dior et dans une cuvette par rapport aux communes voisines. Cette situation géographique et son relief lui confèrent naturellement un rôle assez particulier et pathétique, celui d’abriter la zone de captage des eaux pluviales de Dakar et leur infiltration en vue de l’alimentation de la nappe phréatique.
Cadre administratif local
Dans le cadre de l’administration locale, la commune d’arrondissement travaille avec 58 délégués de quartiers identifiés et reconnus de fait par les autorités municipales comme tels, sans décision de nomination par le Maire de la commune, comme prévu par les textes. D’ailleurs, il n’y a aucune délimitation officielle des quartiers. Les délimitations qui existent sont instituées de manière consensuelle par les délégués eux-mêmes. Néanmoins, on peut répartir la commune d’arrondissement en quatre grands ensembles de quartiers : le village traditionnel de Grand Yoff constituant le noyau ; le quartier de Cité Millionnaire, Arafat (1, 2, et 3) ; le quartier de Khar Yalla qui comprend Bagdad, Cité Bastos, Darou Salam (1, 2, et 3), Cité Marine, Diaglé et Taïba (1, 2,3 et 4) ; le quartier des Cités modernes ayant fait l’objet d’une planification préalable qui comprend : Hlm Grand-Yoff, Cité Keur Khadim, Scat Urbam, Sipres, Front de Terre, Sonatel, Conachap, Hamo Grand-Yoff, Liberté VI Extension, Cité Cse, Cité Cpi, Cité Shelter, Cité Xour Kéré kour.
Où travaillent les résidents ?
La population active est répartie entre le secteur informel et celui structuré. Dans l’ensemble, le secteur informel occupe le plus grand nombre avec 53,3 % de la population. Cette tendance générale cache des disparités frappantes entre les quartiers originels et les habitations planifiées. En effet, dans les quartiers traditionnels, prédomine le secteur non formel. Le quartier de Khar Yalla, ayant fait l’objet de lotissement, révèle que 50% de la population est occupée par le secteur informel, et à Arafat, quartier traditionnel non lotis, ce pourcentage est de 78%. Quant au secteur formel il prédomine dans les cités modernes avec un taux de 62,0% de la population. Cette inversion de tendance dans les cités modernes, contrairement à la tendance générale dans la commune d’arrondissement se comprend car il s’agit là, de population ayant un niveau de vie relativement plus élevé que ceux des deux premières unités d’observation. Ces cités modernes sont toutes issues de programmes d’habitation de l’Etat ou de sociétés privées visant une catégorie sociale d’un certain niveau de revenu. Concernant la prédominance du secteur informel en général, l’explication se trouve dans le fait que, Grand -Yoff qui, jadis a joué le rôle de cité dortoir est en passe de se transformer en cité d’affaires avec ses deux grands marchés, le Cices et le phénomène d’installation de cantines le long des grandes artères. Il faut aussi noter que beaucoup de femmes de ménages, pileuses de mil ou s’activant dans la lingerie habitent la cité Grand Yoff.
Tourisme, sports, loisirs, artisanat et services
Grand Yoff abrite le Cices qui a aussi une dimension touristique ; une bibliothèque municipale ; un centre social ; un foyer des jeunes ; des terrains de football : 07 publics dont 2 stades clôturés et 05 privés, deux terrains de basket et de deux salles de cinéma. Il faut préciser que pour ce qui est des terrains de sport, deux sont clôturés. Les quinze associations sportives et culturelles de la Commune d’Arrondissement se succèdent à tour de rôle sur les sept terrains de sport pour leur pratique sportive. Cependant, il faut déplorer l’absence de village artisanal aménagé. Néanmoins, le secteur est assez développé. On retrouve dans le périmètre communal toutes les catégories d’artisans installés soit dans les terrains non encore construits, soit sur les emprises de la voie publique. Certains artisans louent des magasins pour y exercer leur profession. Pour les services, Il s’agit essentiellement des cadres ci-dessous : une banque, quatre mutuelles d’épargne et de crédit, une gare routière (au niveau de l’échangeur), quatre stations à essence, huit boulangeries, deux petites et moyennes industries, un bureau de poste, une station radio Fm, un poste de police, une brigade de gendarmerie et une unité de police municipale.
Source : Agenda 21 Local de la Commune d’arrondissement de Grand Yoff élaboré par le Département «Aménagement du territoire, environnement et gestion urbaine» de l’Ecole nationale d’économie appliquée (Enea)
1 policier pour 20.000 habitants. En moyenne 1 bar tous les 20 m.
Les agressions sont ainsi devenus le lot quotidien des habitants ou visiteurs de Grand-Yoff. Il ne se passe pas un jour sans qu’une agression ne soit signalée. Si une bagarre n’éclate pas dans un bar ou clando entre deux «ivrognes» se disputant les faveurs d’une prostituée, c’est un pauvre citoyen qui a la malchance de tomber sur une bande de malfrats. Et souvent, le sang gicle. Et mort d’homme s’ensuit. C’est que Grand-yoff est poreuse. Un agresseur peut s’échapper facilement après un forfait, Grand-Yoff étant, en effet, encadré à l'Est par l'autoroute (entre l'échangeur de Hann et le rond-point de la Patte d’Oie); à l'Ouest par la Voie de Dégagement Nord (Vdn) jusqu'à son intersection avec la route du Front de Terre; au Nord par la route de l'aéroport (le rond-point de la Patte d'oie et l'échangeur de la Foire) et au Sud par la route du Front de Terre. Aussi les agresseurs ont beaucoup de poches de repli comme la zone de captage se trouvant à un jet de pierre du rond-point de la Patte d’oie, la Foire ou même le pont de Hann. En outre, Grand-Yoff n’est «protégé» que par un poste de police avec un effectif de 17 éléments dont le chef de poste, deux inspecteurs et 3 éléments de la brigade de recherches. Maigre pour venir à bout de ce banditisme ambiant de Grand-Yoff. Facile alors pour un agresseur rompu à la tache d’opérer et de prendre la clé des champs sans se faire choper. Ce qui a fait dire à une autorité policière qui a requis l’anonymat que «tout milite en faveur de l’érection du poste de police de Grand-Yoff en commissariat avec un effectif et des moyens conséquents. Il y a un projet pour cela et je pense que cela ne va pas tarder». «Franchement le Grand-Yoff actuel me rappelle Khourou Mbouki de Thiaroye des années 80. Le facteur démographique et criminogène doit pousser les autorités à implanter le plus rapidement possible un commissariat à Grand Yoff», ajoute-t-il.
ALÉ KHOUDIA DIAW, SOCIOLOGUE : «Il y a un tout global qui favorise l’insécurité »
D’après le sociologue Alé Khoudia Diaw, le problème fondamental réside d’abord dans « les conditions matérielles d’existence qui font le lit de la précarité ambiante qui sévit dans cette zone la territorialisation du grand banditisme dans la zone de Dakar dessine un territoire qui couvre un périmètre fortement criminogène allant de grand Yoff aux Parcelles assainies en passant par Pikine, Thiaroye, Yeumbeul, etc… » Pour lui, Grand Yoff précisément présente des caractéristiques, à l’instar d’autres quartiers, relatives à l’habitat, à la forte concentration humaine, au taux élevé du chômage, à l’histoire de son peuplement et finalement à la massification de la pauvreté des ménages. Il est évident que « si vous mettez une famille dans un espace de 150m2, au bout de 10 ans la famille s’agrandit et les activités se dérouleront dans la rue, ce qui fait qu’à terme vous créez un bidonville. » Il faut aussi considérer le fait que la vie dans le centre et les quartiers environnants étant de plus en plus chère, Grand Yoff était devenu une zone de repli pour les populations poussées par l’exode rural et dont les coûts de locations étaient moins chers. Selon le sociologue, « c’est ce qui explique cette forte concentration de population sur une zone réduite, et l’observation à Grand Yoff montre des identités remarquables dans ce melting pot et qui constitue les Joolas, les Manjacks et les Sérères et des Wolofs. Cela n’a rien à voir avec une quelconque raillerie de ces ethnies, mais tous le monde connaît le célèbre « Njaago bar » dans le quartier Bignona. L’insécurité vient précisément de ce cocktail explosif fait de la promiscuité des bars à putes, des bars clandos, des gargotes et dibiteries au porc, du vin de palme et du « soum- soum » bon marché qui a fini de transformer la zone en un lieu extrêmement dangereux.» Le week-end à Grand Yoff enregistre des taux-record d’agressions, de vols à main armée, de meurtres « parce que le milieu rend les choses possibles et propices car à partir d’une certaine heure, c’est une zone de non-droits. »
Toujours selon le sociologue, « Il y a un tout global et ce que j’appelle des facteurs favorisant la montée en flèche de l’insécurité dans cette zone. Il faut quand même remarquer que les conditions d’existence des populations se dégradent de plus en plus avec la conjoncture mondiale. En sociologie nous travaillons sur les mécanismes de basculement et de maintien dans la pauvreté qui font que les jeunes touchés par la récession économique, ne parviennent plus à voir le bout du tunnel. La conséquence est que d’office, ils s’excluent de la chaîne d’adaptation et d’intégration à cette société existante et pensent trouver le salut dans le banditisme parce que considérant que désormais, ils n’ont plus rien à perdre. » Et « quand des individus vont jusqu’à dire qu’ils n’ont plus rien à perdre, c’est qu’en réalité ils ont tout perdu. Donc fondamentalement le quartier a une densité fortement criminogène car les facteurs favorisants sont non seulement décelables, mais à côté de cela, il y a aussi le chômage, la passiveté, le manque d’instruction, les données physiques et la configuration de l’espace qui entraînent l’émergence et la constitution de bande de voyou que même la police de Grand Yoff, avec ses maigres moyens ne peut canaliser. »
MAMOUR GUÈYE, MAIRE DE GRAND-YOFF : « Il est temps que Grand-Yoff ait un commissariat de police»
Le maire de Grand-Yoff, Mamour Guèye revient dans cet entretien sur l’insécurité qui prévaut ces derniers temps dans sa commune. Pour l’édile de la commune d’arrondissement de Grand-Yoff, un simple poste de police ne peut pas assurer la sécurité de 350.000 personnes. Il est temps que Grand-Yoff ait un commissariat de police.