J'aurais aimé écrire
Mille histoires et mille parchemins
Ecrire sur le vaste champ du monde
Des sillons qui ne s'effacent jamais
J'aurais aimé fixer sur le sable
Les larmes de la veuve
Et les cris du berger
Ecrire dans la mémoire du désert
Ce qui passe et ne s'y arrête pas
Les vents infinis de la solitude humaine
J'aurais aimé écrire
Vos histoires d'amour
Et vos haines secrètes, celles qui battent en vous
Et jamais ne froissent le calme d'un visage
J'aurais aimé écrire l'histoire d'un fleuve
Ses amitiés, ses déceptions,
Suivre le cours torturé d'un silence prostré
Qui coule parmi les hommes et les lave
De leurs misères, de leurs passions, de leurs tristesses...
J'aurais aimé écrire mes frères
Les écrire pour n'oublier point
Ceux qui s'en allèrent flotter au large.
J'aurais aimé écrire le vrai
L'authentique
Celui des ancêtres, muets désormais,
Dont le souffle nous retentit encore aux nuits pleines
Dont l'image resplendit encore
Quand le feu de bois s'avive sous nos rêves passionnés
J'aurais aimé alors les suivre
Un xalam au cou, un encrier au doigt,
Peindre les vives fresques de leurs grandeurs...
J'aurais aimé écrire,
Ecrire, dépeindre le monde jusqu'à la lie,
Et jusqu'à l'éblouissement, regarder ces moments.
Mais, au delà de la plume,
Au delà des lignes, j'aurais aimé, cher ami,
Les vivre.
Et moi j'aurais aimé, sur la voute celeste
Qui avance tout doucement pointant
Avec ses doigts les sillons à suivre
Ces sillons dont tu aimerais tant conter la joliesse
Essayer de fixer une parcelle de l'instant
De cet instant là que j'ai ceuilli à côté
D'elle et qui ne peut plus se repeter me dit-on car,
Tout passe, tout coule, tout change et que
L'on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve
Cet instant plein de pureté, de sacralité
Cet instant Unique cet instant Magique.
Et encore, j'aurais aimé être cette ondée pure
Qui fait la mixture de l'encre d'Orphée
Pour ressentir dans mon essence profonde le poids l'inspiration
J'aurais aimé à travers cette comète, le temps de l’inspiration,
Par une belle matinée printannière, sur une belle girafe
Me sentir l’âme d’un poète à la recherche de son moi-intime
J’aurais aimé vivre ces instants , la rosée aspergeant mes pieds
J’aurais aimé avoir les ailes d’Alburakh et tel l’oiseau de Minerve
Je prendrais mon envol à la tombée de la nuit pour voyager
À travers les échos de Pangée, afin de répandre la bonne nouvelle
A toutes les âmes qui attendent impatiemment ma venue à l'heure pétante.
Par delà les mots et leurs echos, j´aimerais être comme l’oiseau
Migrateur pour voyager de continent en continent, de saison en saison Afin de changer mon habillage, ce plumage volage et me bâtir
Un Royaume plus joli que palace et plus solide de roche.
Mais ce que j'aurais aimé vivre est au delà des cieux
Reclus sous le coude des trépassés,
Qui passèrent sur ce sable, il y a mille ans
Déjà, le froid mistral efface ce qui reste de leurs pas
Déjà, mes larmes au sol s'assèchent, comme tout, sur le sable de ce monde
Ce que j'aurais aimé vivre, frère,
Mon Dieu le garde jalousement sous son Trône
Comme la montagne garde la gemme
Comme le coeur d'une femme garde la souffrance
Comme les yeux de ma mère, le chagrin de ses fils...
Ce que j'aurais aimé vivre, frère,
S'écoule dès que je le touche
S'en va dès que mes doigts le tracent
Sur les bords hésitants d'une page blanche par une nuit de silence.
Et résonnent par dessus mes épaules
Les voix démultipliées de celle qui transmettent
Les sourires et les murmures ténébreux des mères de la parole
Ce que j'aurais aimé vivre est mort
Ce que j'aurais aimé vivre a chu
Il gît, à jamais, sous le bitume inéluctable
Sous la racine drue du haut baobab
Vibrante encore, mais tellement muette
Que même les griots se querellent
Pendant que soufflent les fournaises des hommes perdus.
Vois-tu, frère, ce que j'aurais aimé vivre
Est déjà écrit
Et ne s'écriera jamais plus.
Si j'avais été poète, je t'aurais offert
De nouvelles ères, des nouveaux airs, de nouvelles chères
Je t'aurais composé des lignes arrimées qui auraient brillé
De mille et une lumières, puisque lumières faites de lumières
Si j'avais été peintre, j'aurais confectionné pour toi une fresque
Celle qui aurait eu le reflet des souffles des temps anciens
De ces anciens sur les traces desquels tu es...
Si j'avais été griot, je t'aurais offert le plus beau de mes hymnes
Et je l'aurais accompagné avec ma lyre tetracorde et t'aurais
Emmené vers les sommités de l'Olympe auprés des tiens...
Si j'avais été abeille, je t'aurais offert du miel dionysiaque
Butiné sur les fleurs paradisiaques et j'aurais dansé pour toi
Le secret de notre danse à huit pas à huis-clos...
Si j'avais été sculpteur, je t'aurais donné des formes uniques
Originales, irreproductibles puisque tu es la flamme qui brille
Sur toutes les autres flammes, sur toutes les autres plumes
Mais, je ne suis qu'un pauvre hère qui erre avec ses pauvres vers
Pour combler l'absence de sa pitence quotidienne,
Un pauvre ivrogne impetinent, qui vénère sa bouteille
Comme le miel avec son abeille, je vais des lors et de ces pas
Me vêtir de mon manteau de gueux et de mon parchemin pour partager
Avec mon frère d'infortune les fruits de mon périple.